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qui était de quart sur le pont ; après quoi Giuntotardi et sa nièce furent laissés en possession du canot.

Le moment était extrêmement critique. Il y avait sans doute sur le pont quelqu’un qui était chargé de surveiller le canot, et quoique la nuit fût très-obscure, il fallait les plus grandes précautions pour pouvoir espérer de réussir.

— Le temps approche, dit Ithuel à voix basse ; le vieux Carlo a ses instructions, et la petite Ghita aura soin qu’il ne les oublie pas. Tout dépend à présent du silence et de l’activité. Avant cinq minutes, le canot sera sous ce sabord.

Raoul comprenait parfaitement ce plan, mais il le regardait comme n’offrant aucun espoir. Il lui semblait impossible que Ghita quittât le vaisseau sans que tous les yeux fussent fixés sur elle ; et malgré l’obscurité de la nuit, il n’était nullement probable qu’il pût la joindre sur le canot sans que personne s’en aperçût ; il fallait pourtant courir ce risque, ou renoncer à s’échapper. Un ordre qui fut donné par le moyen du porte-voix lui donna quelque encouragement. Il annonçait que l’officier de quart était occupé de quelque service qui devait attirer son attention ailleurs. C’était déjà beaucoup ; car qui oserait sur le pont songer à autre chose qu’à exécuter l’ordre qui appelait d’un autre côté ?

Un tourbillon d’idées agitaient le cerveau de Raoul. Il entendait les deux Italiens continuer leur discussion avec plus de chaleur et de bruit, — les officiers rassemblés autour de sa chambre rire en dépit d’eux-mêmes, quoique les deux fonctionnaires de Porto-Ferrajo n’entendissent que le son de leurs propres voix, — chaque frottement du canot contre la hanche du vaisseau, — et chaque bruit que faisaient les avirons quand Carlo les touchait par hasard du bout du pied. Il semblait au jeune corsaire que toutes les émotions de son cœur, tous les intérêts de sa vie, — le présent, le passé, le futur, se réunissaient en un seul instant. Ne voulant pas agir sans l’avis d’Ithuel, il lui demanda tout bas en français ce qu’il devait faire.

— Dois-je me laisser tomber dans l’eau la tête la première, et gagner le canot à la nage ?

— Restez tranquille jusqu’à ce que je vous fasse le signal, capitaine Roule ; laissez brailler les deux Italiens.

Raoul ne pouvait voir l’eau, étant couché sur le dos, la tête dans le sabord, et il ne pouvait compter que sur le sens de l’ouïe. Le canot longeait lentement la hanche du vaisseau, comme pour se préparer à s’en éloigner. Le vieux Carlo jouait parfaitement son rôle. Quand il arriva sous les grands porte-haubans, il n’aurait pas été facile d’a-