Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et c’est peut-être parce que je ne vous l’ai pas expliqué assez clairement. Mais nous sommes en chemin pour aller voir un malheureux prisonnier, et il ne faut pas nous arrêter ici plus longtemps. Nous avons bien des instants de loisir, à bord d’un vaisseau où presque personne ne parle notre langue, et nous les passerons plus agréablement à discuter ce sujet plus à fond dans un autre moment.

— Pardon, signor Andréa, mais il n’y a pas de moment comme le moment présent. D’ailleurs, si cette théorie est vraie, il n’y a point ici de prisonnier, ou s’il y en a un, ce n’est tout au plus qu’un être imaginaire. Ainsi donc, sir Smit ne s’en trouvera pas plus mal pour attendre quelques instants de plus, au lieu que moi je n’aurai l’esprit en repos que lorsque je saurai s’il existe un Vito Viti dans le monde, et si ce Vito Viti c’est moi.

— Voisin Viti, vous êtes trop impatient. De pareilles choses ne s’apprennent pas en un instant. D’ailleurs tout système, comme tout livre, a toujours un commencement et une fin ; et qui deviendrait jamais savant s’il commençait à lire un traité par la dernière ligne ?

— Je sais ce qui vous est dû, signor Barrofaldi, répondit le podestat en lâchant le bouton qu’il tenait encore, — tant à cause de votre rang que pour votre science : ainsi je me tais pour le moment. Mais m’empêcher de penser à une philosophie qui m’apprend que je ne suis pas un vrai podestat ; et que vous n’êtes qu’un vice-gouverneur imaginaire, c’est plus qu’on ne peut attendre de la chair et du sang.

Andréa, charmé que son compagnon lui eût rendu la liberté de mouvement, se remit en marche vers la petite prison de Raoul, où la sentinelle permit sur-le-champ aux deux amis d’entrer, suivant l’ordre qu’elle en avait reçu. Le prisonnier les reçut avec politesse et enjouement ; car nous sommes loin de vouloir représenter Raoul comme assez stoïcien pour ne pas se réjouir d’avoir échappé à la corde, du moins pour quelque temps, puisque ce n’était qu’un sursis. Dans un pareil moment, le jeune corsaire aurait fait bon accueil même à des visiteurs plus désagréables, et le changement soudain survenu dans sa situation le portait même à la gaieté ; car la vérité nous force à dire que la reconnaissance envers Dieu n’entrait guère dans les émotions qu’il éprouvait, et il envisageait le répit qu’il venait d’obtenir, son arrestation, et les autres incidents de sa croisière, uniquement comme le résultat de la fortune de la guerre.

Winchester avait veillé à ce qu’on mît dans la petite chambre de Raoul tout ce dont il pouvait avoir besoin. Il s’y trouvait entre autres choses deux pliants : il les offrit à ses deux visiteurs, et s’assit lui-même sur le palan d’un canon. Il faisait nuit, et il était survenu un