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chester : quant à Bolt, nous aurions certainement le droit de le refuser ; mais si M. Yvard désire le voir, vous pouvez le lui permettre.

Ayant reçu cette autorisation, Winchester n’hésita plus à accorder les permissions demandées ; et il envoya ordre à la sentinelle de laisser entrer dans la chambre du prisonnier tous ceux que celui-ci consentirait à recevoir. Un bâtiment n’est pas comme une prison à terre ; il est presque impossible à un prisonnier de s’en échapper, surtout quand le bâtiment est en mer. Ceux qui avaient sollicité la permission de voir le condamné furent donc avertis qu’elle leur était accordée, sauf le consentement du prisonnier.

Une sorte de mélancolie sombre et générale régnait alors à bord de la Proserpine. Personne n’ignorait l’état véritable des choses, et bien peu croyaient possible que Clinch eût le temps d’arriver au Foudroyant, de recevoir les ordres de l’amiral, et d’être de retour avant le moment fixé pour l’exécution. Il n’y avait plus que trois heures jusqu’au coucher du soleil, et le temps, au lieu de marcher lentement, semblait avoir pris des ailes. Telle est la constitution de l’esprit humain, que l’incertitude ajoute à l’intensité de ses sensations. L’incertitude de la mort fait souvent éprouver une plus vive émotion que l’instant où elle est prête à frapper. Il en était ainsi des officiers et des matelots de la Proserpine. S’ils n’eussent eu aucun espoir de voir contremander l’exécution, ils s’y seraient résignés comme à un mal inévitable ; mais le dernier rayon d’espérance qui brillait encore causait une agitation fébrile qui fut universellement partagée, comme s’il eût été question de donner la chasse à un bâtiment ennemi, et que chacun eût été impatient de l’atteindre. À chaque minute qui s’écoulait, ce sentiment prenait plus de force et de vivacité, et nous n’excéderions peut-être pas les bornes de la vérité, en disant qu’au milieu de toutes les vicissitudes de la guerre, jamais un espace de trois heures ne s’était passé à bord du vaisseau de Sa Majesté britannique la Proserpine dans une agitation d’inquiétude et de crainte semblable à celle qu’on y remarquait dans le moment dont nous parlons. Tous les yeux se tournaient vers le soleil, toutes les bouches disaient que et astre descendait vers l’horizon plus rapidement que de coutume ; et la plupart des midshipmen s’étaient réunis sur le gaillard d’avant sans autre motif que de se trouver plus près du promontoire que le canot de Clinch devait doubler avant d’arriver.

Le zéphyr était venu à l’heure ordinaire, mais il était très-léger, et la Proserpine était si près des montagnes qu’à peine pouvait-elle en sentir l’influence. Il n’en était pas de même des deux autres bâtiments. Lyon avait viré de bord assez tôt pour s’éloigner des plus hautes