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à bord ; mais je commence réellement à être trop vieux pour voir une exécution avec une sorte déplaisir. Un devoir qui ne se fait pas avec plaisir est un pauvre devoir, capitaine.

— Il y a beaucoup de devoirs désagréables, et quelques-uns qui sont pénibles, Strand. Celui de coopérer à l’exécution d’un homme, quelque crime qu’il ait commis, est un de ceux qui le sont le plus.

— Ce n’est pas que j’aie tant de répugnance à voir pendre un homme qui s’est rendu coupable de mutinerie, capitaine, car c’est un être que le monde doit rejeter de son sein. Mais pendre un ennemi, un espion, c’est chose toute différente ; il est de notre devoir d’espionner, autant que nous le pouvons, pour l’avantage de notre roi et de notre pays ; et l’on ne devrait jamais traiter avec trop de dureté ceux qui font leur devoir. Un drôle qui n’obéit pas à l’ordre qu’il a reçu, et qui met sa propre volonté au-dessus du bon plaisir de son officier supérieur, ne m’inspire aucune compassion ; mais je ne comprends prends pas pourquoi les membres des conseils de guerre traitent si durement ceux qui poussent une reconnaissance un peu plus loin que de coutume.

— Vous ne le comprenez point, parce que les bâtiments sont moins exposés que les armées à l’espionnage. Un soldat déteste un espion autant que vous détestez un mutin. La raison en est qu’à l’aide d’un espion, il peut être surpris par l’ennemi, et massacré en dormant. Rien n’est aussi désagréable pour un soldat qu’une surprise, et je suis porté à croire que la loi contre les espions, quoique ce soit une loi générale de guerre, a pris naissance parmi les soldats, plutôt que parmi nous autres marins.

— Oui, capitaine, vous avez raison ; un soldat a le cœur dur, pour ne rien dire de plus, et ce que vous venez de dire le prouve. Mais à présent, Votre Honneur, supposez qu’une frégate française, à peu près de la force de la nôtre, se mette en tête de surprendre la Proserpine par une nuit obscure, qu’en résulterait-il, après tout ? Voilà nos canons, et il ne s’agit que d’appeler tout le monde à son poste de combat, comme s’il n’existait pas un seul espion dans tout l’univers ; et si les Français voulaient essayer l’abordage, je crois qu’il y aurait autant de surprise de leur côté que du nôtre. Non, non, capitaine, les espions ne sont rien pour nous ; quoique, pour leur apprendre à vivre, on fît peut-être bien de donner la grande cale à l’un d’eux de temps en temps.

Cuff, pendant ce discours, était devenu pensif et silencieux ; et quand cela arrivait, Strand lui-même ne se permettait pas de lui parler. Le capitaine quitta le gaillard d’avant pour retourner sur l’ar-