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concernait le service, il avait trop d’expérience pour jamais hésiter à obéir ; mais, en matière d’opinion, il aurait soutenu la sienne, même en présence de Nelson.

Le second maître du gaillard d’avant était un vieux marin nommé Catfall[1]. Pendant que Strand[2] occupait la position que nous venons de décrire, sur le plat-bord, cet autre personnage était à converser avec trois ou quatre matelots de l’avant, placés au pied du beaupré, les règles du bord ne permettant pas aux hommes de l’équipage de montrer leur tête au-dessus des bastingages. Chacun d’eux avait les bras croisés, une chique de tabac dans la bouche, et les cheveux noués en queue, et chacun relevait de temps en temps ses pantalons de manière à prouver qu’il n’avait pas besoin de bretelles pour les maintenir à leur place. On peut ajouter en passant que le point de séparation entre la jaquette et les pantalons était marqué par une ligne blanche circulaire, formée par la chemise, ce qui faisait ressortir la couleur bleue des deux autres parties du vêtement, et paraissait comme une sorte de parement de marine. Comme cela était dû à son rang et à son expérience, Catfall était le principal orateur parmi les matelots rassemblés près du beaupré.

— Cette côte est mounteigneuse, comme on peut en convenir, dit le second maître du gaillard d’avant ; mais ce que je dis, c’est qu’elle ne l’est pas autant que quelques autres côtes que j’ai vues. Quand je fis le tour du monde avec le capitaine Cook, nous découvrîmes des îles qui étaient couvertes de rochers si élevés que les brins-de-borions qu’on voit ici ne pourraient passer que pour des rochers de fortune[3].

— Vous avez raison en cela, Catfall, répliqua Strand d’un ton de protection, comme le savent fort bien tous ceux qui ont doublé le cap de Horn. Je n’ai pas fait voile avec le capitaine Cook, vu que j’étais alors maître d’équipage du Hussard, et qu’il ne pouvait faire partie de l’escadre de Cook, puisque c’était un bâtiment de guerre ayant un capitaine de la marine royale, et qu’il était commandé pour un service important ; mais j’ai parcouru les mêmes mers quand j’étais plus jeune, et je puis attester la vérité de ce que dit Catfall. Du diable si les taupinières qu’on voit ici seraient même appelées

  1. Catfall ; en français : garant de capon.
  2. Strand ; en français : toron d’un cordage.
  3. Allusion à un mât de fortune. Quand un bâtiment a perdu un de ses mâts, on le remplace par un semblable, si l’on en a un, et c’est ce qu’on appelle un mât de rechange. Mais si l’on n’en a pas de cette dimension, on le remplace par un plus petit, qu’on appelle mât de fortune, c’est-à-dire mât tel que la fortune et le hasard peuvent le procurer. Ainsi, en cas de perte d’un grand mât, on le remplace par un mât de hune, et si c’est un mât de hune qui manque, on y substitue un mât de perroquet. (Note du traducteur.)