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ensuite sur le point de sortir par tous les pores de son visage. Il se sentit d’abord comme dévoré par le feu d’un ressentiment farouche ; mais il redevint lui-même presque aussitôt, et envisagea les choses comme il avait coutume de le faire quand il était calme. Cependant il ne pouvait encore parler, et il eut besoin de faire quelques tours dans sa chambre pour recouvrer tout son sang-froid.

— Monsieur Yvard, dit-il enfin, dès qu’il put parler sans montrer de la faiblesse, je vous demande pardon sincèrement, et du fond de mon cœur. Je ne vous connaissais pas, sans quoi une pareille proposition ne vous aurait jamais insulté, et n’aurait pas dégradé en moi un officier anglais. Nelson lui-même est le dernier homme qui aurait voulu blesser les sentiments d’un ennemi honorable ; mais nous ne vous connaissions pas. Tous les corsaires n’ont pas votre manière de penser, et c’est ce qui a causé notre méprise.

— Touchez là, dit Raoul en lui tendant la main avec franchise. Vous et moi, capitaine Cuff, nous devrions nous rencontrer chacun sur une bonne frégate, et combattre pour l’honneur de notre pays respectif. Quelque fût le résultat de ce combat, il serait la base d’une amitié éternelle entre nous. J’ai vécu assez longtemps dans votre Angleterre pour savoir combien peu vous connaissez notre France ; mais n’importe ! des hommes braves peuvent s’entendre dans tout l’univers, et pour le peu de temps qu’il me reste à vivre, nous serons amis.

Cuff saisit la main de Raoul, et une larme glissa entre ses paupières tandis qu’il la serrait.

— C’est une misérable et infernale affaire, Griffin, dit le capitaine, et jamais on ne me verra en entreprendre une semblable, quand le commandement d’une escadre comme celle qui est dans cette baie devrait en être le prix.

— J’ai toujours cru qu’elle ne réussirait pas, capitaine, et s’il faut dire la vérité, je l’espérais. Vous m’excuserez, capitaine Cuff, mais je crois que nous autres Anglais, nous n’avons pas pour les peuples du continent, et surtout pour les Français, autant d’estime qu’ils en méritent. Je prévoyais, dès l’origine, que cette tentative serait inutile.

Cuff répéta ses apologies, et après quelques expressions d’estime et d’amitié de part et d’autre, Raoul retourna dans sa prison en toile, ayant refusé l’offre que lui fit le capitaine de lui donner une chambre près de la sienne. Griffin, après avoir reconduit le prisonnier, vint retrouver le capitaine, et leur conversation roula encore sur le même sujet.