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attendu la connaissance qu’il avait de plusieurs langues, de chercher à distraire le condamné de ses sombres réflexions. En ces occasions la fermeté du prisonnier empêchait la conversation de prendre une tournure lugubre et même mélancolique. Dans la vue de lui donner toutes ses aises, autant qu’il était possible, Winchester avait fait arranger la cloison en toile dont nous avons parlé, de manière à laisser dans l’intérieur de cette espèce de chambre les deux canons qui étaient l’un à droite, l’autre à gauche, ce qui permettait à l’air et au jour d’y entrer plus aisément par les deux sabords, et ce qui la rendait un peu moins étroite. Raoul fit allusion à cette circonstance lors de la seconde visite que lui rendit Griffin. Il était assis sur un pliant quand celui-ci arriva, et il l’invita à en prendre un autre.

— Vous me trouvez ici soutenu par une pièce de 18 de chaque côté, lui dit-il en souriant. Si la mort devait sortir pour moi des bouches de vos canons, monsieur le lieutenant, elle ne me frapperait que quelques mois, peut-être quelques jours plus tôt qu’elle aurait pu le faire de la même manière dans le cours ordinaire des événements.

— Nous savons être sensibles à ce que doit éprouver un homme brave dans votre situation, monsieur Yvard, répondit Griffin avec émotion, et nous voudrions tous vous voir à bord d’une bonne frégate par le travers de la nôtre, et nous sur celle-ci, combattant à armes égales pour l’honneur de nos pavillons respectifs.

— La fortune de la guerre en a décidé autrement. — Mais vous n’êtes pas assis, monsieur le lieutenant.

— Pardon, monsieur Yvard. Le capitaine Cuff m’a envoyé pour vous prier de lui accorder l’honneur de votre compagnie dans sa chambre pour quelques minutes, aussitôt que cela pourra vous être agréable.

Il y a dans les expressions de politesse de la langue française quelque chose qui n’aurait pas permis à Griffin de manquer de délicatesse envers le prisonnier, en s’acquittant de la mission qu’il venait remplir, quand même il y aurait été disposé, mais rien n’était plus loin de ses intentions. Maintenant que leur brave ennemi était à leur merci, tous les officiers de la Prosperpine étaient portés à le traiter honorablement. Raoul fut touché de ces preuves de générosité, et comme il avait lui-même reconnu le courage de Griffin dans les diverses tentatives qui avaient été faites contre son lougre, il apprit à mieux penser de ses ennemis. Se levant sur-le-champ, il dit qu’il était disposé à se rendre auprès du capitaine à l’instant même.

Cuff l’attendait dans la chambre de l’arrière. Quand Griffin et le