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avec humeur, et elle m’a répondu que ce que je lui disais sonnait à son oreille presque comme une impiété, et qu’elle épouserait un marin, ou qu’elle mourrait fille.

— Elle s’est sans doute fait quelques idées romanesques de notre profession, et c’est pourquoi vous avez trouvé si difficile de la convaincre que vous ne lui parliez que pour son bien.

— Jane Weston ! — Non, non, capitaine. Il n’y a pas plus de romanesque dans son caractère que dans les pages blanches qui précèdent le titre d’un livre de prières. Elle est tout cœur ; comment ai-je pu m’y ancrer si solidement, c’est un vrai mystère pour moi. Je ne mérite pas la moitié de l’affection qu’elle m’a vouée, et je désespère de pouvoir jamais l’indemniser de ce qu’elle m’a sacrifié.

Clinch était encore un bel homme, quoique le vent, le soleil, la fatigue et l’habitude de boire eussent laissé des traces sur sa physionomie, qui était naturellement franche, ouverte et prévenante. Ses traits exprimaient alors l’angoisse dont son cœur était plein dans ce moment, où l’idée de sa situation désespérée se présentait à son esprit. Cuff vit ce qu’il souffrait, et il en fut touché ; car il se rappela le temps où ils étaient tous deux midshipmen sur le même bord, et ou l’avenir leur offrait à l’un comme à l’autre les mêmes chances d’avancement, à l’exception de celles que le hasard de la naissance avait jetées dans la balance en faveur de Cuff. Clinch était excellent marin, et brave comme un lion, qualités qui lui avaient obtenu un degré de respect que son malheureux faible n’avait pu lui faire perdre. Quelques personnes le regardaient même comme le meilleur marin qui fût à bord de la Proserpine, et cela aurait été vrai si la science de la marine ne consistait qu’à savoir gouverner un navire et veiller à sa sûreté dans des circonstances difficiles. Toutes ces considérations portèrent le capitaine à prendre plus de part à la détresse de l’aide-master qu’il ne l’aurait peut-être fait sans cela. Au lieu d’avancer la bouteille de son côté, il la poussa d’un autre, sachant combien de fois le désappointement de ses espérances avait porté Clinch à en faire un usage indiscret ; et, oubliant un instant la différence de rang, il serra la main de son ancien camarade, et lui parla avec un ton de confiance et d’amitié auquel l’oreille de Clinch avait cessé d’être habituée depuis puis bien longtemps.

— Mon brave ami, lui dit-il, il y a encore de l’étoffe en vous, et il ne s’agit que de savoir vous en servir comme il faut. Faites un effort sur vous-même ; ralliez toutes vos forces, et d’ici à quelques mois il peut arriver des événements qui vous permettront d’épouser votre pauvre Jane, et qui réjouiront le cœur de votre vieille mère.