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— Précisément à ce que vous me disiez, capitaine. Il faudrait diviser en trois la part de chaque lieutenant, comme celle de chaque capitaine.

— C’est cela même, Airchy. Ayez donc soin de bien ouvrir les yeux sur le pont. Il n’est pas nécessaire d’aller tout à fait aussi loin que le capitaine Cuff nous l’a suggéré ; car faites attention que si ce lougre est dans la baie, il cherchera à gagner ce promontoire, et en restant dans les environs il est plus probable que nous le rencontrerons. — Vous saisissez mon idée ?

— Parfaitement, capitaine, et j’aurai soin de m’y conformer. Mais comment entend-on la loi en ce qui concerne l’obscurité ? Moi j’entends qu’un bâtiment n’a droit aux parts de prise qu’autant qu’il est en vue ; mais l’obscurité est-elle un empêchement légal ?

— Très-certainement ; car l’idée est que celui qui peut voir, peut agir. Or, si nous prenons le lougre avant que Cuff et sir Frédéric puissent même savoir où il est, d’après quel principe peuvent-ils nous soutenir et aider à la capture ?

— Et vous désirez que nous ayons les yeux bien ouverts cette nuit, capitaine Lyon ?

— Sans doute. — Si vous tirez un bon parti de vos yeux, nous en tirerons un meilleur du lougre ; car il serait dommage d’avoir à partager entre trois ce que nous pouvons garder pour nous seuls.

Telles étaient les idées qui occupaient l’esprit de nos trois capitaines, tout en s’acquittant de leur devoir : Cuff désirait vivement de capturer le Feu-Follet ; mais c’était principalement pour en avoir l’honneur, quoiqu’il s’y mêlât, peut-être à son insu, quelque désir secret de se venger de la perte que ce bâtiment lui avait fait éprouver ; sir Frédéric laissait à son premier lieutenant le soin de gouverner sa frégate, et ne songeait qu’à tuer le temps ; et Lyon n’envisageait la prise du lougre que sous le rapport de son intérêt personnel.

Une heure ou deux plus tard, à l’instant où il allait se coucher, Cuff envoya prier son premier lieutenant de venir lui parler, s’il n’était pas encore au lit. Winchester était à écrire son journal privé ; et, interrompant cette occupation, il obéit avec cet air de soumission tranquille qu’un premier lieutenant prend toujours avec son capitaine.

— Bonsoir, Winchester, lui dit Cuff d’un ton amical et familier qui prouva sur-le-champ au lieutenant qu’il n’avait pas été mandé pour recevoir une mercuriale ; prenez une chaise et buvez un verre de ce vin de Capri avec un peu d’eau. On en pourrait boire ainsi un gallon sans que le cap changeât de direction ; mais, tel qu’il est, il vaut mieux que rien pour remplir les vides.