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nullement déraisonnable, quand il supposait qu’un homme qui n’avait d’autre but que son intérêt personnel en faisant la guerre, n’hésiterait pas à racheter sa vie en trahissant un secret. Si Raoul eût appartenu à la marine régulière de la république française, le capitaine du bâtiment de guerre anglais n’aurait peut-être osé compter sur l’aveu qu’il se flattait d’en obtenir ; mais comme il ne commandait qu’un bâtiment corsaire, Cuff croyait fermement qu’il se trouverait trop heureux de se sauver à ce prix. Sir Frédéric et Lyon envisageaient l’affaire sous le même point de vue ; et maintenant qu’ils étaient armés de tout ce qu’il fallait pour faire réussir ce dessein, ils regardaient la prise du Feu-Follet comme presque certaine.

— C’est pourtant une chose affligeante, Cuff, dit sir Frédéric avec son ton d’indolence, de n’avoir d’autre alternative que de trahir ses amis ou d’être pendu. Dans la chambre des communes, nous disons : « Je veux être pendu si je le fais ; » et ici, vous allez dire : « Tu seras pendu si tu ne le fais pas. »

— Bon, bon, Dashwood, répondit Cuff ; le choix de ce Raoul Yvard sera bientôt fait. Personne ne peut s’imaginer qu’il tienne bon. Nous capturerons le lougre et ce sera la fin de l’affaire. — Je donnerais mille livres sterling pour que cet infernal Fiou-Folly fût en ce moment à portée de pistolet de cette frégate. — Je suis piqué au jeu.

— Cinq cents livres seraient un haut prix, répliqua Lyon d’un ton sec. Je ne crois pas que nos parts de prise pour un pareil bâtiment, — en supposant qu’il tombe entre nos mains, — montent à cent livres pour chacun de nous.

— Eh bien, Messieurs, dit sir Frédéric en bâillant, que les dés décident lequel de nous trois en aura la totalité, si nous sommes maîtres du lougre d’ici à vingt-quatre heures, calculant le temps d’après les chronomètres de ce bâtiment. — Vous avez sans doute des dés ici, Cuff ; et ce sera le moyen de passer une demi-heure.

— Pardon, capitaine Dashwood, mais je ne puis permettre ce genre de passe-temps sur mon bord ; cela serait contraire aux règlements de la marine. D’ailleurs ni Lyon, ni moi, nous n’avons autant de centaines de livres que vous à jeter au vent. Quant à moi, j’aime à toucher d’abord mes parts de prise, et j’en dispose ensuite.

— Vous avez raison, capitaine Cuff, dit Lyon, mais ce ne serait pas une grande innovation de jouer la part de sir Frédéric, si cela peut lui être agréable. L’argent est sans doute une agréable acquisition, et il rend la vie douce au saint comme au pécheur ; mais je