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ne pas se soucier de punir un homme pour avoir fait ce qu’il sentait qu’il aurait fait lui-même s’il eût été à sa place, et ce qu’il ne pouvait se dissimuler à lui-même qu’il avait eu le droit de faire. Il était impossible de prendre Ithuel, qui réunissait en lui tant de traits caractéristiques de son pays, pour autre chose que ce qu’il était ; et sa qualité d’Américain était si bien établie à bord de la Proserpine, que ses camarades lui avaient donné le sobriquet d’Yankee. Le fait était donc si bien connu, que Cuff, après en avoir conféré avec Winchester, résolut de ne pas instruire le procès du prétendu déserteur, mais de lui faire reprendre son service à bord du bâtiment, sous le prétexte, — souvent employé en pareille occasion, — de lui laisser le temps de prouver qu’il était né en Amérique, si son allégation à cet égard était vraie. Le pauvre Ithuel ne fut pas le seul Américain qui fut condamné à cette espèce de servitude, car des centaines d’autres, traités de la même manière, passèrent bien des années en voyant briller dans le lointain le même rayon d’espoir, dont ils ne pouvaient jamais approcher. Il fut donc décidé qu’Ithuel ne serait pas mis en jugement, du moins jusqu’à ce que le capitaine Cuff en eût conféré avec l’amiral ; et Nelson, quand il n’était pas sous l’influence de la sirène dont il était devenu l’humble esclave, était un homme porté à l’indulgence, et ayant même des idées chevaleresques de justice. À quelles contradictions l’esprit humain le plus vaste n’est-il pas exposé, quand il perd de vue l’étoile polaire de ses devoirs !

Quand la sentence de Raoul eut été prononcée, et qu’on eut emmené le prisonnier, le conseil de guerre l’ajourna, et l’on dépêcha sur-le-champ un canot à Nelson pour lui porter copie du jugement de condamnation de l’accusé, afin qu’il y donnât son approbation. Les membres du conseil ouvrirent alors une discussion sur l’objet qui était le plus intéressant pour eux, la situation probable du lougre, et les moyens de le capturer. Tous étaient convaincus que le Feu-Follet ne pouvait être bien loin ; mais où était-il ? c’était ce qu’aucun d’eux ne pouvait dire. Des officiers avaient été envoyés sur toutes les hauteurs de Capri, où il se trouve une montagne qui s’élève à plus de mille pieds au-dessus du niveau de la mer, et tous avaient pris une peine inutile. Rien qui ressemblât au lougre ne s’était montré à leurs yeux, ni au large, ni parmi les îles, ni dans les baies. On avait chargé une embarcation de doubler la pointe de Campanella et d’examiner la côte, et une autre de traverser l’entrée de la baie de Naples, et de passer au nord d’Ischia, pour voir si le lougre n’était pas caché derrière les montagnes de cette île ; en un mot, on n’avait négligé aucun moyen de découvrir ce bâtiment. Mais tout fut inutile :