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pas l’amour un motif, ou tout au moins, suivant moi, ce motif est inexplicable. Voilà l’explication. Oui, je savais que c’était l’amour pour miss Gyty, mais l’amour n’est pas un motif légal.

— Répondez aux faits ; la cour jugera les motifs. Comment savez-vous que l’amour pour la jeune personne dont vous parlez ait été le seul motif de Raoul Yvard pour venir dans la baie ?

— On découvre ces choses à force de vivre avec un homme. Le capitaine Roule est allé d’abord chercher la jeune fille là-bas sur la montagne où demeure sa tante, et je l’ai accompagné pour parler anglais au besoin ; et ne trouvant pas Gyty chez elle, nous prîmes un bateau et nous la suivîmes jusqu’à Naples. Ainsi, vous voyez, Monsieur, que j’ai eu le moyen de tout savoir.

Tout ceci était strictement vrai. Ithuel avait fait ce récit d’un ton naturel et de manière à obtenir croyance.

— Vous dites, témoin, que vous avez accompagné Raoul Yvard dans une visite à la tante de la jeune fille qu’on appelle Ghita Caraccioli, dit Cuff d’un ton indifférent, qui avait pour but de tendre un piége à Ithuel, et d’en tirer une réponse imprudente. — D’où veniez-vous lorsque vous êtes parti pour ce voyage ?

— C’est selon qu’on veut parler de l’endroit où l’on a mis en mer, ou de celui où l’on a fait une relâche. Je pourrais dire que je suis parti d’Amérique, contrée du monde que j’ai quittée il y a quelques années, ou bien de Nantes, port où nous nous sommes équipés pour mettre à la voile. — Le capitaine Roule répondrait probablement : De Nantes.

— De quelle manière êtes-vous venus de Nantes ? continua Cuff sans montrer ni ressentiment d’une réponse qu’on aurait pu regarder comme impertinente, ni surprise, comme s’il ne la comprenait pas. — Vous n’avez pas fait ce voyage à cheval, je suppose ?

— Oh ! je crois vous comprendre maintenant, capitaine Cuff. — Eh bien, s’il faut dire la vérité, nous sommes venus à bord du lougre, le Fiou-Folly.

— C’est ce que j’imaginais. Et lorsque vous êtes allé voir cette tante, ou avez-vous laissé le lougre ?

— Nous ne l’avons laissé nulle part, Monsieur : comme il était sous voiles, nos pieds ne furent pas plutôt dans le canot et l’amarre larguée, qu’il nous quitta comme si nous eussions été un arbre planté en pleine terre.

— Où cela est-il arrivé ?

— Sur mer, comme de raison, capitaine Cuff ; une telle chose ne pouvait guère arriver à terre.