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— En ce cas, Monsieur, je désirerais qu’Ithuel fût appelé.

Les ordres nécessaires furent bientôt donnés, et Ithuel parut devant les juges. Le serment lui fut demandé, et Ithuel le prêta en homme qui n’était pas novice en ce genre.

— Votre nom est Ithuel Bolt ? dit le procureur du roi.

— C’est ainsi qu’on m’appelle à bord de ce bâtiment ; mais si je dois être témoin, qu’il me soit permis de parler librement : je ne veux pas qu’on me mette des paroles dans la bouche, ni que mes idées soient rivées avec du fer.

En parlant ainsi, Ithuel leva les bras et montra les menottes que le capitaine d’armes avait refusé de lui ôter, ce dont les officiers composant la cour ne s’étaient point aperçus. Un regard de reproche de la part de Cuff et un mot prononcé à demi-voix par Yelverton, levèrent la difficulté. Les fers d’Ithuel furent détachés.

— Maintenant je puis répondre plus consciencieusement, dit le témoin avec un rire sardonique ; lorsque le fer entre dans la chair d’un homme, cela le dispose à dire tout ce qu’il croit le plus agréable à ses maîtres. Parlez, Squire, si vous avez quelque chose à me dire.

— Il paraît que vous êtes Anglais.

— Vraiment ? alors je parais ce que je ne suis pas. Je suis né dans l’état de Granit, dans le nord de l’Amérique. Mes pères s’y sont transportés il y a bien longtemps, par attachement pour leurs opinions religieuses. C’est un pays qui attache un prix incroyable à ses privilèges.

— Connaissez-vous le prisonnier, Ithuel Bolt, — l’homme qui s’appelle Raoul Yvard ?

Ithuel ne savait trop que répondre à cette question. Malgré les hautes considérations qui avaient amené ses pères dans le désert, et ses propres idées sur les avantages religieux de ce pays, un serment était devenu pour lui une sorte d’obligation qui changeait de nature suivant les circonstances, depuis le jour où il avait fait connaissance, pour la première fois, avec une douane. Un homme qui avait attesté sous le serment l’authenticité de tant de pièces fausses, ne devait pas y regarder de trop près pour servir un ami dans l’embarras ; cependant, en niant qu’il le connût, il pouvait se compromettre et se mettre ainsi hors d’état de servir Raoul sur quelque point plus important. Il faut dire qu’il y avait entre lui et le jeune Français une différence morale très-considérable ; car, tandis que celui qui se vantait de ses ancêtres religieux, et de la pieuse éducation qu’il avait reçue, avait une conscience singulièrement relâchée, Raoul, presque athée d’opinion, n’aurait pas voulu faire le moindre mensonge, quand l’hon-