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ler, que bien peu de juges auraient voulu prononcer une condamnation sans avoir sous les yeux de quoi la justifier. L’affaire devenait donc assez embarrassante, et la cour suspendit encore une fois sa séance afin d’en conférer. Dans la conversation privée qui suivit, Cuff raconta tout ce qui s’était passé, la manière dont l’identité de Raoul avait été constatée, et la grande probabilité — même la certitude morale — qu’il était entré déguisé dans la baie pour espionner ce qui s’y passait. En même temps, il fut obligé de convenir qu’il n’avait pas de preuve positive que le lougre auquel il avait donné la chasse fût français, et encore moins que ce fût le Feu-Follet. Il est vrai qu’il avait hissé le pavillon français, mais il avait aussi hissé le pavillon anglais, et la Proserpine elle-même en avait fait autant. Pendant le combat contre les canots, le lougre avait arboré le pavillon tricolore, ce qui pouvait donner encore lieu à une forte présomption contre ce bâtiment ; mais ce n’était pas une circonstance concluante, car bien des motifs pouvaient justifier cette ruse jusqu’au dernier moment, et la frégate elle-même portait le même pavillon, quand elle avait eu l’air de faire feu contre les batteries de Porto-Ferrajo. On convint que le cas était embarrassant, et quoique personne ne doutât réellement de l’identité de Raoul, ceux qui étaient derrière le rideau craignaient fort d’être obligés d’ajourner le jugement faute de preuve, au lieu de prononcer une sentence sur-le-champ, afin d’y trouver les moyens de se mettre en possession du lougre, comme on l’avait espéré. Lorsque tous ces points eurent été suffisamment discutés, et que Cuff eut amené ses collègues à envisager l’état des choses sous le même point de vue que lui, il leur proposa une mesure qu’il comptait devoir être efficace. Après quelques minutes de discussion sur ce nouveau sujet, on fit rouvrir les portes, et le conseil de guerre reprit sa séance publique.

— Qu’on fasse entrer une jeune fille connue sous le nom de Ghita, dit le procureur du roi en ayant l’air de consulter ses notes.

Raoul tressaillit, et une ombre de profonde inquiétude passa sur son visage ; mais il se rendit bientôt maître de son émotion extérieure et reprit un air impassible. On avait fait sortir Ghita avec son oncle de la chambre qui leur avait été donnée, et on les avait conduits dans une chambre en dessous pour que les délibérations privées du conseil de guerre pussent être parfaitement secrètes, et il fallut attendre quelques minutes avant qu’elle pût arriver. Enfin la porte s’ouvrit, et elle parut devant le conseil. Elle jeta un regard de tendre intérêt sur Raoul ; mais la nouveauté de sa situation, et le caractère imposant d’un serment pour une jeune fille sans expérience, ayant