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des étrangers dans cette île. Or, il y a trois semaines plus ou moins qu’on vit un lougre, ou une felouque…

— Était-ce un lougre ou une felouque ? demanda le procureur du roi, tenant sa plume levée pour écrire la réponse.

— L’un et l’autre, Signor.

— Il y avait donc deux bâtiments ?

— Non, Signor. Je veux seulement dire que cette felouque était un lougre, Tommaso Tonti a voulu embrouiller mes idées sur ce sujet ; mais ce n’est pas pour rien que j’ai été si longtemps podestat dans un port de mer, et je sais qu’il y a des felouques de toute espèce ; des vaisseaux-felouques, des briks-felouques, des lougres-felouques.

Quand cette réponse eut été traduite, les membres du conseil ne purent retenir un sourire, et Raoul fut sur le point d’éclater de rire.

— Ainsi donc, signor podestat, reprit le procureur du roi, le prisonnier est arrivé à Porto-Ferrajo à bord d’un lougre.

— À ce qu’on m’a dit, Signor ; car je ne l’ai pas vu à bord de ce bâtiment ; mais il m’a dit qu’il commandait un navire nommé le Ving-y-Ving, au service du roi d’Inghilterra, et qu’il s’appelait lui-même il capitano Smit, ou sir Smit.

— Il vous a dit cela ? — Et vous ne savez pas que ce lougre est le fameux corsaire français nommé le Feu-Follet ?

— À présent, je sais qu’on le dit, Signor ; mais, alors, le vice-gouverneur et moi nous pensions qu’il se nommait le Ving-y-Ving.

— Et ne savez-vous pas, — de votre propre science, j’entends, — que le prisonnier qui est sous vos yeux est réellement Raoul Yvard ?

Corpo di Bacco ! — comment pourrais-je le savoir, Signor ? Je ne reçois pas de corsaire dans ma compagnie ; à moins qu’ils n’entrent dans notre port et qu’ils ne s’appellent sir Smit.

Le procureur du roi et les membres du conseil se regardèrent les uns les autres. Aucun d’eux n’avait le moindre doute que le prisonnier ne fût réellement Raoul Yvard ; mais il fallait en avoir une preuve légale avant de pouvoir le condamner. On demanda à Cuff si le prisonnier n’avait pas avoué son identité ; mais ni lui ni personne ne pouvait dire qu’il l’eût fait positivement, quoique une partie de ce qu’il avait dit semblât l’impliquer. En un mot, la justice paraissait menacée de se trouver dans un embarras qui n’est pas très-rare, celui de ne savoir comment prouver un fait dont personne ne doute. Enfin, Cuff se rappela Ithuel et Ghita ; et il écrivit leurs noms sur un morceau de papier qu’il passa au procureur du roi. Celui-ci fit un signe de tête au président, comme pour lui dire qu’il comprenait son