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de jouer un tel rôle en venant à bord de votre frégate. Vous devez me rendre la justice de reconnaître que ce n’est qu’à votre invitation que je suis monté sur votre bord. Ce serait une infamie de prétendre le contraire.

— Nous sommes disposés à subir l’infamie que pourront mériter nos actions, monsieur Yvard. Personne ne songe à vous accuser d’être venu comme espion à bord de la Proserpine ; mais quand le commandant d’un bâtiment ennemi est trouvé rôdant autour de notre escadre à l’ancre dans une baie, sous un déguisement comme le vôtre, il faudrait avoir une conscience bien scrupuleuse pour hésiter à le déclarer coupable d’espionnage, et ayant encouru la peine prononcée contre tout espion.

Tout cela était si vrai, que le malheureux jeune homme sentit alors l’extrême difficulté de sa situation. En venant dans la baie de Naples, il n’avait certainement eu aucun autre dessein que de trouver Ghita ; mais il ne pouvait s’empêcher de s’avouer à lui-même que, si le hasard eût voulu qu’il y obtînt quelque information qui pût lui être utile comme capitaine d’un bâtiment corsaire, il n’aurait pas hésité à en profiter ; il s’était donc exposé à la peine la plus sévère des lois militaires, en cédant à sa passion pour Ghita, et il ne pouvait trouver aucune excuse à alléguer pour en obtenir l’adoucissement.

— Que dit le pauvre diable, Griffin ? demanda Cuff, qui, malgré son esprit d’hostilité déterminée contre tous les Français, regrettait qu’un homme si brave se trouvât dans une situation si désespérée. — Ne le pressez pas trop fort dès le premier instant. Donne-t-il quelque excuse pour son déguisement ?

— Quelle excuse pourrait-il donner, capitaine ? celle ordinaire, sans doute, — le désir de servir sa république une et indivisible. Si nous voulions croire tout ce que nous disent ces drôles, autant vaudrait retourner chez nous et envoyer des députés à la Convention nationale, si toutefois elle daignait leur faire l’honneur de leur y accorder des places.

— Messieurs, dit Raoul en anglais, il n’est plus besoin d’interprète entre nous ; je parle votre langue assez bien pour me faire comprendre.

— Je suis fâché de vous voir dans une telle situation, monsieur Yvard, dit le capitaine Cuff, je désirerais de tout mon cœur que vous fussiez tombé entre nos mains d’une manière plus régulière.

— Auquel cas, capitaine, le Feu-Follet aurait été aussi en votre pouvoir, répondit Raoul avec un sourire ironique. Mais, Messieurs, ces paroles sont inutiles à présent ; je suis votre prisonnier, et je dois