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nuits ; mais, puisque vous le désirez, j’y consens. Et, tout en ajustant le mouchoir autour de son cou, il ajouta : Votre Excellence fait un prince d’un pauvre batelier, et quand je rentrerai chez moi, ma femme me prendra pour quelque grand général.

— Pour que l’illusion soit complète, l’ami, mettez encore cet habit, dit Griffin, lui présentant un de ses habits de petit uniforme, car sa taille était, à peu de chose près, la même que celle de Raoul.

Le véritable état des choses n’avait presque plus rien d’équivoque ; mais, ne voyant de ressource que dans l’obéissance et la fermeté, il passa l’habit, et resta vêtu en officier de marine par le haut et en batelier par le bas.

— Eh bien, vice-gouverneur, reprit Griffin, il fait clair ici, et vous voyez le costume : que dites-vous à présent ?

— Je dis que monsieur m’a fait l’honneur de me rendre quelques visites à Porto-Ferrajo, et que je ne l’ai jamais vu avec plus de plaisir qu’en ce moment. Vous paraissez aimer beaucoup les mascarades, signor Smit, et le carnaval dure pour vous toute l’année. J’espère que votre illustre compatriote, sir Cicéron, trouvera le moyen de convaincre ces braves Anglais que vous avez agi ainsi par pure plaisanterie et sans aucun crime.

— Monsieur, dit Raoul, jetant par terre ses plumes empruntées, il n’est plus temps de feindre davantage ; mais si je suis Raoul Yvard, comme vous le prétendez, du moins je ne suis pas le Feu-Follet.

— Comme de raison, Monsieur, dit Griffin en français : vous savez que vous êtes maintenant prisonnier de Sa Majesté britannique ?

— Sa Majesté britannique n’a pas obtenu ici un succès égal à la victoire qu’elle a remportée à l’embouchure du Nil, répondit Raoul d’un ton ironique ; quoi qu’il en soit, je suis entre ses mains. Ce n’est pas la première fois que j’ai l’honneur d’être prisonnier de guerre à bord d’un de ses bâtiments.

— Vous ne devez pas supposer que vous êtes aujourd’hui dans cette situation, Monsieur : nous vous arrêtons sous une qualité toute différente.

— Ce n’est pas comme ami, du moins, car je proteste que je n’y ai pas le moindre droit. J’en ai pour preuve une courte entrevue que nous avons eue à la hauteur de Porto-Ferrajo, et un incident intéressant près de l’embouchure du Golo.

— Vous pouvez nous épargner vos sarcasmes, Monsieur ; la fortune vous a favorisé alors, nous en convenons ; mais aujourd’hui nous vous arrêtons comme espion.

— Espion ! répéta Raoul en tressaillant, je n’ai jamais eu dessein