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vagues, qui, sans avoir encore d’objet déterminé, menaçaient pourtant d’avoir des suites sérieuses pour le jeune marin. Profondément mortifiés de la manière dont ils s’étaient laissé prendre pour dupes par ce célèbre corsaire, le vice-gouverneur et le podestat n’étaient alors à bord de la Proserpine que parce qu’ils avaient désiré quitter momentanément leur île pour se soustraire au ridicule qu’ils sentaient qu’ils avaient mérité, attendre que tous les sarcasmes fussent usés, et chercher à recouvrer leur réputation de sagacité, en trouvant peut-être les moyens de coopérer à la prise du corsaire. Cuff, dans un moment de confiance, leur avait offert deux cadres dans sa chambre et place à sa table, et cette offre avait été acceptée : Andréa n’avait pas été vingt-quatre heures à bord, sans être convaincu qu’il ne pouvait y être utile à rien, et cette idée avait ajouté aux autres désagréments de sa situation. Comme tous les hommes joignant de bonnes intentions à un esprit simple, il désirait vivement se rendre bon à quelque chose, et il réfléchissait jour et nuit à ce qu’il pouvait faire pour cela, ou discutait cette question avec son ami Vito Viti quand ils étaient en tête-à-tête. Le podestat lui conseillait de mettre sa confiance dans le ciel, et ajoutait qu’il pouvait se passer dans le cours de la croisière des choses qui la rendraient mémorable. Quant à lui, il avait l’habitude, dans toutes les circonstances embarrassantes, de dire un Ave ou deux, et ensuite de s’en rapporter à Dieu.

— Vous n’avez jamais vu un miracle, vice-gouverneur, disait Vito Viti, un jour qu’ils discutaient ensemble ce sujet, sans qu’un autre miracle marchât sur ses talons ; le premier n’étant qu’un préparatif pour le second, et celui-ci étant toujours le plus remarquable des deux. Lorsque Anina Gotti tomba du haut des rochers, ce fut un miracle qu’elle ne se rompît pas le cou ; mais quand elle roula ensuite dans la mer sans s’y noyer, c’en fut un bien plus grand.

— Il vaut mieux laisser la sainte église s’occuper de pareilles choses, voisin Vito, répondit Barrofaldi ; mais quant à l’affaire qui nous occupe, je ne puis y découvrir aucun miracle.

— Comment ! n’en est-ce donc pas un, signor vice-gouverneur, que deux hommes comme vous et moi nous nous soyons laissé tromper, comme cela nous est indubitablement arrivé, par ce coquin de corsaire français ? Je regarde cela comme un si grand miracle, qu’il aurait dû en suivre un autre, au lieu d’en être le précurseur.

Andréa lui fit une réponse telle que la lui suggérèrent ses connaissances supérieures, et leur conversation tourna, comme de coutume, sur ce qu’ils avaient à faire pour effacer la tache imprimée individuellement ou solidairement sur leur sagacité.