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— Ce sont aussi des alliés, et je veux parler de bâtiments ennemis. N’a-t-on pas vu un lougre à la hauteur de votre île depuis un jour ou deux, — un lougre français ?

Si, si. — Je comprends à présent ce que vous voulez dire, Signor. — Si, si ; il y a eu un bâtiment comme celui dont vous parlez, qui a passé près de notre île ; j’en suis sûr, car je l’ai vu de mes propres yeux. C’était hier soir vers la vingt-troisième heure ; et à l’air méchant de son équipage, nous disions tous qu’il devait être français.

— Raoul ! dit Ghita comme pour lui reprocher son imprudence.

— C’est le vrai moyen de leur en faire accroire, dit Raoul à voix basse, ils ont certainement appris de nos nouvelles, et en ayant l’air de leur dire franchement un peu de vérité, je trouverai l’occasion de leur débiter plus de mensonges.

— Ah, Raoul ! c’est une triste vie que celle qui rend le mensonge nécessaire.

— C’est l’art de la guerre, chère Ghita, sans cela ces coquins d’Anglais nous dameraient, le pion. — Si, si, Signori ; c’est ce que nous avons dit tous en voyant son gréement et son équipage.

— Voulez-vous nous accoster et monter à bord, l’ami ? dit Griffin ; nous avons ici un ducat qui a besoin d’un maître, et j’ai dans l’idée qu’il conviendra à votre poche aussi bien qu’à celle d’un autre. Nous vous halerons jusque par le travers du passe-avant.

— Gardez-vous bien d’être si téméraire, Raoul ! s’écria Ghita à voix basse ; le vice-gouverneur et le podestat vous reconnaîtraient, et tout serait perdu.

— Ne craignez rien, Ghita, une bonne cause et un esprit qui ne manque pas de ressources me tireront d’affaires, au lieu que la moindre hésitation pourrait me perdre. Ces Anglais commencent par demander, et prennent ensuite sans permission, si vous répondez non. — Corpo di Bacco ! qui a jamais vu un lazzarone refuser un ducat ?

Raoul dit quelques mots tout bas à Ithuel, et le canot étant alors assez halé de l’avant, et embardé sur la frégate, il saisit une tire-veille, et monta avec l’agilité d’un chat par les taquets de l’échelle du bord. Il est certain que personne à bord de la frégate ne se doutait quel était l’individu qui marchait en ce moment avec tant de confiance sur son gaillard d’arrière. Le jeune marin lui-même trouvait dans cette aventure quelque chose d’excitant qui ne lui déplaisait pas, et il était d’autant moins inquiet des suites que pouvait avoir sa témérité, qu’il n’y avait sur le pont aucune autre lumière que celle de la