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— Non pas ici, au milieu de tous ces navires de l’Orient. — J’ai toujours trouvé que lorsqu’on ne veut pas être remarqué, il faut se mettre dans la foule. Celui qui vit dans un village est exposé à la clarté du grand jour. — Mais nous parlerons de tout cela une autre fois, Ghita ; voici un pêcheur qui se prépare à nous recevoir.

L’esquif était alors près du rivage, dans un endroit où une petite yole, contenant un pêcheur solitaire, était à l’ancre. Cet homme les examina avec attention, et ayant reconnu Raoul il retira ses lignes de l’eau et se prépara à lever son grappin. Au bout de quelques minutes les deux esquifs étaient bord à bord ; et alors, mais non sans difficulté attendu qu’il s’était déguisé avec grand soin, Ghita reconnut Ithuel Bolt. Quelques mots suffirent pour mettre l’Américain au fait de tout ce qu’il était nécessaire qu’il sût, et les préparatifs du départ se firent sur-le-champ. Raoul amarra au rivage le petit esquif qu’il y avait trouvé, et dont il s’était momentanément emparé, sans permission, espérant que celui à qui il appartenait l’y retrouverait un jour ou l’autre, et il passa avec ses compagnons sur la petite yole, qui était une des embarcations de son lougre. C’était un léger canot, admirablement construit, et propre à naviguer sur mer sans autre aide que deux bons avirons, dont Raoul prit l’un, et dont Ithuel tenait déjà l’autre. Cinq minutes après, ils s’éloignaient de la terre, traversant la baie en ligne droite, et se dirigeant vers le promontoire du Sud, avec l’adresse et l’activité de rameurs expérimentés.

Il y a peu d’endroits sur la mer où un canot et même un bâtiment seul attirent si peu l’attention que dans la baie de Naples. Cela est vrai dans tous les temps et dans toutes les saisons ; l’échelle magnifique sur laquelle la nature a dessiné ce panorama splendide rendant tous les objets ordinaires comparativement insignifiants, tandis qu’un mouvement constant, résultat de l’activité d’un million d’âmes qui en habitent les côtes populeuses, le couvre de bateaux qui le parcourent dans tous les sens, presque comme les rues d’une grande ville sont remplies de piétons. En approchant du môle, ou du mouillage ordinaire, ils eurent naturellement à traverser une foule flottante ; mais une fois qu’ils en furent dehors, ils trouvèrent facile d’éviter toute collision désagréable sans avoir l’air de le chercher, et la marche d’un canot, dans quelque direction que ce fût, était un événement trop commun pour exciter la moindre méfiance. On ne penserait pas plus à questionner un esquif rencontré même au centre de cette vaste baie, qu’à demander à un étranger pourquoi il se trouve sur la place du marché de la ville. Raoul et Ithuel savaient parfaitement tout cela ; et une fois en route sur leur yole, ils éprouvèrent un sentiment de