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de figures humaines étendu sur la mer. Son regard était ferme, quoique tout fût en tumulte dans son cœur. Il reconnut Ghita à son costume et à celui de son oncle, et s’avançant sur le bord de la petite plate-forme il s’efforça d’étendre un bras pour lui donner sa bénédiction, qu’il prononça à haute voix. La pauvre fille tomba sur ses genoux au fond du bateau, se mit en prières la tête baissée, et resta dans cette humble attitude jusqu’à la fin de cette scène douloureuse, sans oser lever les yeux un instant.

— Mon fils, dit le bon prêtre au patient, vous devez en ce moment oublier la terre et tout sentiment terrestre.

— Je le sais, mon père, répondit le vieillard d’une voix tremblante d’émotion, mais non de crainte, car ses sensations étaient trop nobles, trop sublimes même, pour que son cœur pût admettre ce sentiment dégradant ; mais jamais cette belle œuvre de la création ne m’a paru si aimable qu’à l’instant où je la vois pour la dernière fois.

— Élevez votre vue au delà de cette scène, mon fils ; percez les profondeurs d’une éternité sans bornes, et vous y verrez ce dont toutes les facultés et tous les efforts des hommes ne peuvent approcher. Je crains que le temps qui nous reste ne soit bien court. Avez-vous encore quelque chose à me dire suivant la chair ?

— Vous pouvez dire, mon père, qu’à mon dernier moment j’ai prié pour Nelson et pour tous ceux qui ont contribué à me conduire où je suis. Il est facile à l’homme heureux, à celui qui n’a éprouvé aucune tentation, de condamner son semblable ; mais il est plus sage, il est plus sur de mettre sa confiance dans la bonté de Dieu que dans ses propres mérites.

Un rayon de satisfaction brilla dans les yeux du bon prêtre, quand il entendit ces paroles, car c’était un homme véritablement pieux, et que la crainte des suites que pouvait avoir pour lui-même son dévouement au malheureux condamné, n’avait pu empêcher de faire ce qu’il regardait comme son devoir. Il ferma les yeux un instant pour rendre grâce à Dieu dans le secret de son cœur ; se tournant ensuite vers le prince, il lui adressa ces derniers mots d’encouragement :

— Mon fils, si vous quittez cette vie avec une ferme confiance dans les mérites du fils de Dieu, et dans de pareilles dispositions à l’égard de vos semblables, il n’y a personne dans la foule immense qui nous entoure dont le sort mérite plus d’envie que le vôtre. — Adressez une dernière prière au seul être à qui vous deviez maintenant avoir recours.

Caraccioli, aidé par le prêtre, s’agenouilla sur la plate-forme car