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amiral anglais n’était pas considérable ; et tout ce qui se passait à bord de la Minerve, et qui n’était pas positivement caché par les murailles de ce bâtiment, pouvait se voir aisément du pont du Foudroyant. Ce vaisseau était un peu en dehors du cercle de bateaux, et c’était de ce côté que Raoul avait ramé pour éviter la confusion, et il se reposai sur ses avirons quand il fut à un tiers d’encâblure de la poupe de l’amiral anglais. C’était là qu’il avait résolu d’attendre le fatal signal et ce qui en serait la suite. Ghita et son oncle passèrent tout ce temps en prières. Il est presque inutile de dire que Raoul ne s’y joignit pas, mais nous ne rendrions pas justice à ses sentiments et à son amour pour Ghita, si nous ne disions que son cœur sympathisait avec les leurs.

Un silence solennel, causé par l’attente, régnait à bord de tous les bâtiments voisins de la Minerve. Le temps était chaud, la mer calme, et le zéphyr même cessait de troubler par ses murmures cette scène mélancolique. À bord de la frégate, on ne voyait aucun signe de vie, à peine même en voyait-on de mort ; on pouvait cependant remarquer un cartahu passé dans une poulie au bout de la vergue de misaine, dont une des extrémités venait directement sur le pont, et dont l’autre était allongée le long de la vergue jusqu’à la perpendiculaire du pont, où elle passait dans une poulie. Une plate-forme avait été établie sur deux canons, en dessous de la vergue, arrangement bien simple, mais expressif, et qui, ayant lieu entre les murailles de la frégate, n’était visible qu’à ceux qui se trouvaient à bord de la Minerve. Raoul connaissait ce genre de préparatifs, et son œil exercé reconnut aisément la corde qui devait dans quelques minutes priver Ghita de son aïeul, quoique son oncle et elle ne pussent la distinguer de la multitude de cordages dont elle était entourée.

Dix minutes pouvaient s’être passées dans ce silence solennel, et pendant ce temps le nombre des bateaux continua à augmenter, et il fut permis aux équipages des différents bâtiments de se placer de manière à pouvoir être spectateurs d’une scène qu’on espérait devoir servir de leçon. Il est dans les principes d’une bonne discipline, à bord d’un bâtiment de guerre, de ne pas permettre aux hommes de l’équipage de se laisser voir de l’extérieur, excepté dans les occasions ou le devoir exige qu’ils se montrent tous. Cette règle rigide fut pourtant alors momentanément oubliée, et les vaisseaux à l’ancre autour de la Minerve laissèrent voir leurs milliers d’hommes, comme des abeilles autour de leur ruche pour essaimer. Ce fut au milieu de cette attente générale qu’on entendit le sifflet du maître d’équipage du Foudroyant, et aussitôt quatre mousses se placèrent le long de