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était formée par le vaisseau le That will do, marchant en tête, et ayant pour matelot d’arrière le Whithout-Breeches ! — Qu’en dites-vous, capitaine Cuff ? Du diable si je voudrais servir dans une marine dont les vaisseaux porteraient de pareils noms. C’est mille fois pire que tous ces saints dont les Espagnols chamarrent leurs vaisseaux, comme une longue ligne de canots remorquant un bâtiment à son mouillage.

La conversation fut interrompue en ce moment par un midshipman, qui vint annoncer qu’un homme et une femme venant de terre désiraient lui parler pour une affaire pressante.

— Faites-les entrer, Monsieur, répondit Nelson. — Je mène ici une vie dure, Cuff ; car il n’y a pas à Naples une blanchisseuse ou un marchand qui ne me traite exactement comme si j’étais un podestat, chargé de prononcer sur toutes les querelles pour du linge perdu ou des objets vendus à crédit. Il faudra que Sa Majesté nomme un lord premier juge sur chaque escadre pour rendre la justice en tout ce qui concerne les midshipmen, ou pas un officier ne voudra bientôt hisser un pavillon à son service.

— Sûrement, Milord, les capitaines peuvent décharger vos épaules de ce fardeau.

— Il y en a qui le peuvent et qui le font ; mais il y en a aussi qui ne le peuvent plus, et d’autres qui ne veulent pas le faire. Mais je suppose que voici les plaignants ; vous entendrez la plainte, Cuff, et vous agirez comme second juge.

La porte s’ouvrit en ce moment, et les deux personnes qu’on attendait entrèrent dans la chambre. C’étaient un homme de cinquante ans au moins, et une fille d’environ dix-neuf. L’extérieur du premier n’avait rien de remarquable, et il avait l’air soucieux et les yeux baissés ; mais la jeune fille avait toute l’expression, la grâce et la beauté qui caractérisaient la physionomie et la tournure de Ghita Caraccioli, car c’étaient elle et Carlo Giuntotardi, son oncle, qui venaient d’entrer. Nelson fut frappé de l’air aimable et modeste de Ghita, et quoiqu’il continuât à rester debout, ainsi que le capitaine Cuff, il l’invita poliment à s’asseoir. Quelques efforts qu’il fit pour se faire comprendre le convainquirent bientôt qu’il lui fallait un interprète, puisque ni l’oncle ni la nièce ne parlaient anglais, et il savait trop peu d’italien pour pouvoir entretenir une conversation suivie. Il hésita un instant, et s’approcha de la porte de la chambre de l’arrière, dans laquelle Cuff avait entendu de temps en temps des voix, dont l’une était évidemment celle d’une femme. Il s’appuya contre la cloison, eut l’air de réfléchir encore, et fit enfin connaître ses désirs ainsi qu’il suit :