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podestat ; à présent qu’ils connaissent vos désirs, ils vont hisser leur pavillon. Sûrement les artilleurs ne tireront plus ?

— Ce serait agir contre la loi des nations, Signora, et imprimer une tache à la civilisation de la Toscane. Vous voyez que les artilleurs ont fait la même remarque que vous, car ils mettent de côté leurs instruments. Cospetto ! c’est dommage qu’ils n’aient pu tirer leur troisième coup, car vous auriez vu le boulet frapper le lougre. Jusqu’ici vous n’avez vu que leurs préparatifs.

— Cela suffit bien, signor podestat, répondit Ghita en souriant ; car elle pouvait sourire maintenant qu’elle voyait que les artilleurs n’avaient plus dessein de faire feu sur le lougre. Nous avons tous entendu parler de vos canonniers d’Elbe, et ce que je viens de voir me prouve ce qu’ils peuvent faire quand l’occasion l’exige. Mais regardez, Signor, le lougre s’apprête à satisfaire notre curiosité.

Effectivement, le bâtiment inconnu jugeait alors à propos de se conformer aux usages des nations. Nous avons déjà dit qu’il arrivait vent arrière, aile et aile, c’est-à-dire ses voiles étant établies en ciseaux, une de chaque bord, genre de voilure qui donne à la felouque, et surtout au lougre, la plus pittoresque de leurs attitudes gracieuses. N’adoptant, pas l’usage de ces voiles à petites envergures que le manque d’équipages nombreux a introduites parmi nous, ces marins, que nous pourrions appeler classiques, élèvent en tête de leurs mâts ces longues vergues avec leurs voiles en pointe qui ne présentent que peu de surface dans la partie élevée, mais dont les limites dans la partie inférieure ne sont bornées que par la possibilité de les border, compensant ainsi par leur largeur dans le bas ce qui leur manque dans la partie élevée. L’idée des voiles de la felouque, particulièrement, semble avoir été littéralement prise des ailes d’un grand oiseau de mer, la forme en approchant de si près, qu’avec sa voilure établie de la manière qui vient d’être mentionnée, un de ces légers esquifs ressemble beaucoup à la mouette ou au faucon se balançant dans l’air ou fondant sur sa proie. Le gréement du lougre a peut-être moins de cette beauté qui fait l’ornement d’un tableau que la voile strictement latine ; mais il en approche tellement, qu’il est toujours agréable à l’œil, et, dans l’évolution particulière qui vient d’être décrite, il a presque autant de grâce. Cependant aux yeux du marin il a l’air de rendre plus de services ; car ce mode de porter ses voiles rend un bâtiment en état de lutter contre les plus forts coups de vent et la mer la plus houleuse, tandis qu’il est si agréable à la vue par une douce brise et sur une mer calme.

Le lougre qui était sous les hauteurs de l’île d’Elbe n’avait alors