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Après avoir ainsi parlé, Cuff descendit comme il était monté, c’est à-dire par le trou du chat, et il reparut bientôt sur le pont. La frégate offrit alors une scène d’activité et d’empressement. Tout le monde fut mis à l’ouvrage ; les uns démarrèrent les canons, les autres brassèrent les vergues d’après la nouvelle route.

Le lecteur comprendra beaucoup plus facilement ce qui va suivre, s’il peut jeter les yeux sur une carte de la côte d’Italie. Il y verra que la côte orientale de l’île d’Elbe s’étend à peu près du nord au sud, Piombino étant situé environ au nord-nord-est de son extrémité septentrionale. Près de cette extrémité se trouve la petite ville rocailleuse dont nous avons parlé plus d’une fois, et qui est le lieu dont, quinze ans plus tard, Napoléon fit le poste avancé de son empire insulaire. La Proserpine était du côté de cet îlot, et le lougre inconnu de l’autre. La frégate était assez avant dans le canal pour pouvoir serrer le vent, bâbord amures, en parant l’îlot, tandis que le lougre était assez au vent ou au sud pour ne pas être vu du pont de la frégate à cause des rochers qui se trouvaient entre les deux bâtiments. Comme la distance de l’îlot à l’île d’Elbe n’excédait pas une centaine de brasses, le capitaine Cuff espérait enfermer le lougre entre la terre et lui, étant bien loin de s’imaginer qu’il osât traverser un passage si étroit et si rocailleux. Mais il ne connaissait pas son homme, qui était Raoul Yvard, et qui était venu là de Bastia dans l’espoir d’éviter de rencontrer de nouveau son formidable ennemi. Il avait vu les voiles de la frégate au-dessus des rochers dès qu’il avait fait jour, et comme il ne doutait pas, lui, de l’existence de la Proserpine, il l’avait reconnue sur-le-champ. Le premier ordre qu’il donna fut d’orienter au plus près possible, et son grand désir était de profiter de sa position sous le vent des montagnes de l’île d’Elbe, pour entrer dans le même passage, dans lequel le vent soufflait avec plus de force que partout ailleurs.

Comme la Proserpine était à une bonne lieue de distance dans le canal, le Feu-Follet, qui ne marchait jamais avec plus de vitesse que par un vent léger, avait tout le temps d’arriver à son but. Au lieu d’éviter le passage étroit qui sépare les deux îles, Raoul y entra hardiment : et en tenant ses yeux vigilants attachés sur sa vergue de misaine pour qu’elle lui apprit le danger, il réussit à faire deux bordées dans ce détroit, et en sortit au sud par celle de tribord, doublant l’extrémité de l’îlot, à l’instant même où la frégate se montrait de l’autre côté. La tâche du lougre devenait alors facile, car il n’avait qu’à surveiller son ennemi et à virer à temps vent devant pour mettre l’îlot entre eux, puisque le capitaine anglais n’oserait faire entrer un