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Griffin. Le drôle aurait-il pris ce petit îlot pour la coque d’un bâtiment ?

— En ce cas, il faudrait qu’il l’eût prise pour un vingt-ponts, dit Griffin en riant. L’homme qui est là-haut est Ben Brown, et personne n’a de meilleurs yeux que lui à bord.

— Le voyez-vous, capitaine ? demanda Brown en regardant par-dessus son épaule.

— Non certainement, répondit Cuff. Est-ce que vous rêvez ?

— Il faut donc que cette petite île vous empêche de le voir. — C’est un lougre, et il ressemble à celui que nous avons brûlé la nuit dernière, aussi bien qu’un de nos bossoirs ressemble à l’autre.

— Un lougre ! s’écria Cuff. Quoi ! encore un autre de ces vagabonds ! Par Jupiter ! j’examinerai cela moi-même. Il y a dix contre un que je le verrai de la grande hune.

Trois minutes lui suffirent pour monter à la hune en question, ayant passé par le trou du chat, comme le fait tout homme sensé sur une frégate, surtout quand elle est stationnaire faute de vent. C’était un temps ou l’on avançait rapidement dans la marine anglaise ; on y voyait bien peu de lieutenants à barbe grise, et il s’y trouvait même quelques amiraux qui n’avaient pas encore leurs dents de sagesse. Cuff était donc encore jeune et actif, et il ne lui fallut pas de grands efforts pour monter les enfléchures de son bâtiment, comme nous venons de le dire. Une fois dans la hune, il ouvrit de grands yeux et resta une bonne minute immobile, regardant du côté que Ben Brown avait indiqué. Pendant tout ce temps, Griffin, debout sur le gaillard d’arrière, regardait le capitaine avec autant d’attention que celui-ci en mettait à considérer le bâtiment étranger. Cuff daigna enfin jeter un regard en dessous de lui, pour satisfaire la curiosité qu’il supposait que son second lieutenant devait naturellement éprouver. Griffin n’osait questionner son capitaine sur ce qu’il voyait, mais ses traits étaient un répertoire de questions sur ce sujet.

— Un frère corsaire, par Jupiter Ammon ! lui cria Cuff, et même un frère jumeau. Brown a eu raison de le dire, ils se ressemblent comme un bossoir à l’autre, et même encore plus, si je suis en état d’en juger.

— Que voulez-vous que nous fassions, capitaine ? demanda le lieutenant. Pendant tout ce temps nous avançons sous le vent. Je ne sache pas qu’il y ait positivement ici un courant, mais…

— Fort bien, Monsieur, fort bien. — Orientez-vous promptement bâbord amures, et qu’on dispose les canons de bâbord. Nous pouvons avoir à désemparer ce bâtiment avant de le prendre.