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louque n’est pas à une encâblure de nous. Relevez-la par la draille du foc, et vous verrez vous-même comme elle marche lentement en avant.

Raoul suivit ce conseil, et après un court examen il reconnut que la felouque n’avait aucun mouvement visible en avant, tandis qu’elle dérivait avec le courant précisément sur l’avant du lougre. Cette circonstance le convainquit qu’elle devait avoir une drague sur l’arrière, ce qui indiquait des intentions hostiles. L’ennemi était probablement en force à bord de cette felouque, et il était important de faire des préparatifs de défense.

Cependant, il répugnait encore à Raoul de faire éveiller tout son monde. Comme tous les hommes doués de sang-froid et de fermeté, il n’aimait point à donner une fausse alarme, et il lui paraissait si invraisemblable que les Anglais eussent si promptement oublié la leçon qu’ils avaient reçue dans la matinée, qu’il pouvait à peine ajouter foi au témoignage de ses sens. Ses hommes avaient travaillé péniblement toute la journée à réparer les avaries du lougre, et la plupart dormaient de ce sommeil profond qui suit la fatigue. Cependant, chaque minute amenait la felouque plus près du Feu-Follet, et augmentait le danger si l’ennemi s’en était réellement mis en possession. D’après toutes ces circonstances, il résolut de commencer par la héler, sachant que tout son équipage serait sur le pont en une minute, et que chacun dormait ayant ses armes à son côté, de crainte d’une attaque par les canots de la frégate pendant la nuit.

— Ho ! de la felouque ! s’écria Raoul, ce bâtiment étant déjà trop près pour qu’il eût besoin d’un porte-voix. Quel est ce bâtiment, et pourquoi dérive-t-il autant sur nous ?

La Belle Corse, répondit-on en un patois mêlé de français et d’italien ; comme Raoul s’y attendait, si l’équipage était celui d’un bâtiment côtier. — Nous sommes frétés pour la Padulella, et nous désirons longer la côte pour tenir le vent plus longtemps. Notre bâtiment n’est pas bon voilier, et nous dérivons parce que nous sommes en plein milieu du courant.

— Alors vous allez tomber en travers sur notre avant. Vous savez que je commande un bâtiment armé, et je ne puis permettre cela.

— Ah ! Signor ! nous sommes amis de la république, et nous ne voudrions pas vous nuire. Nous espérons que vous ne ferez aucun mal à de pauvres mariniers comme nous. Nous allons laisser arriver, s’il vous plaît, et nous passerons sous votre poupe.

Cette proposition fut faite si soudainement, et était si inattendue, que Raoul n’eut pas le temps d’y faire aucune objection, et quand