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frappée du sentiment poétique de ces expressions, et je suis surprise, Raoul, que vous ne m’en ayez jamais parlé jusqu’à présent. C’est une grande chose que ces astres aient le pouvoir de vous reporter chez vous et de vous retracer les objets qui vous sont familiers, quand vous êtes loin de tout ce que vous aimez.

— N’avez-vous jamais entendu dire que des amants fussent convenus de regarder tous les jours à une heure fixe une certaine étoile, afin que leurs pensées pussent se rencontrer malgré l’immensité des mers et des terres qui les séparaient ?

— C’est une question à laquelle vous pouvez répondre vous-même, Raoul, tout ce que j’ai jamais entendu dire de l’amour et des amants étant sorti de votre bouche,

— Eh bien donc, je vous le dis ; et j’espère que nous ne nous séparerons pas sans avoir choisi notre heure et notre étoile — si toutefois nous nous séparons encore. — Si je ne vous en ai point parlé plus tôt, Ghita, c’est parce que vous êtes toujours présente à ma pensée. — Je n’ai besoin d’aucune étoile pour me rappeler le mont Argentaro et les Tours.

Si nous disions que Ghita entendit ces mots sans plaisir, ce serait l’élever trop au-dessus d’une faiblesse aussi naturelle qu’aimable. Son cœur s’ouvrait toujours aux protestations de tendresse de Raoul, et rien n’était plus agréable à son oreille que les assurances qu’il lui donnait de son dévouement et de son amour. La franchise avec laquelle il convenait de ses défauts, et surtout de l’absence de ce sentiment religieux qui avait tant de prix aux yeux de sa maîtresse, donnait un nouveau poids à ses paroles, quand il parlait de sa tendresse. Quoique Ghita rougît en ce moment en l’écoutant, elle ne sourit pas, et parut mélancolique. Elle fut près d’une minute sans lui faire aucune réponse ; et quand elle répondit, ce fut d’une voix basse qui annonçait l’intensité de ses sentiments et de ses pensées.

— Ces astres peuvent avoir un usage plus relevé, dit-elle ; regardez-les, Raoul ; nous ne pouvons les compter, car lorsque nos yeux se fixent sur l’espace, ils semblent sortir les uns après les autres des profondeurs du ciel, et se moquer de tous nos calculs. Nous voyons qu’il y en a des milliers, et nous pouvons croire qu’il en existe des myriades. Vous devez avoir appris, puisque vous êtes navigateur, que ces astres sont des soleils comme le nôtre, autour desquels tournent d’autres mondes ; or, comment est-il possible de voir et de savoir tout cela, sans croire à un Dieu et sentir notre néant ?

— Je ne conteste pas qu’il existe un pouvoir pour gouverner tout cela, Ghita ; mais je soutiens que c’est un principe, et non un être