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quelque pensée ou quelque désir à des oreilles qui étaient toujours attentives. Enfin les chants et la danse se terminèrent, et tous les matelots descendirent sous le pont pour se jeter dans leurs hamacs, à l’exception de ceux qui devaient être de quart. Ce changement fut aussi frappant que subit. Le silence solennel d’une nuit éclairée par les étoiles succéda au rire léger, aux chants mélodieux, et à l’enjouement un peu bruyant d’hommes dont la gaieté naturelle semblait être restreinte par une sorte de civilisation supérieure à celle des marins des autres pays, et qui faisait que, quoique sans éducation, à bien des égards, ils blessaient bien rarement les convenances, ce qui arrive si souvent aux marins de la race anglo-saxonne. L’air frais commença bientôt à descendre des montagnes, et flottant sur la mer échaulée pendant la journée, il donna naissance à une légère brise de terre, qui soufflait exactement en sens contraire de celle qui, à peu près à la même heure, partait du continent voisin. Il n’y avait pas de lune, mais on ne pouvait dire que la nuit fût obscure, car des myriades d’étoiles brillaient dans le firmament, et remplissaient l’atmosphère d’une lumière qui servait à rendre les objets suffisamment distincts, et qui les laissait dans un demi-jour qui convenait à la scène et à l’heure. Raoul sentit l’influence de toutes ces circonstances à un degré extraordinaire, et elles le disposèrent à des pensées plus calmes que celles qui l’occupaient toujours dans ses moments de loisir. Il s’assit près de Ghita, dont l’oncle venait de descendre dans sa chambre pour se mettre à genoux et faire ses prières.

On n’entendait plus alors un seul pied s’appuyer sur le pont du lougre. Ithuel s’était porté près d’une bitte de bossoir, d’où il surveillait sans cesse son ancienne ennemie la Proserpine, la proximité de ce bâtiment ne lui permettant pas de dormir. Deux marins expérimentés, qui formaient seuls le quart du mouillage, comme on l’appelle, étaient stationnés à part l’un de l’autre, afin qu’ils ne pussent causer ; l’un sur le bossoir de tribord, l’autre dans les haubans du grand mât ; tous deux surveillant avec vigilance la mer et tout ce qui flottait sur son sein. En ce lieu retiré, ces objets étaient nécessairement en petit nombre, et ils ne se composaient que de la frégate, du lougre et de trois bâtiments côtiers que la Proserpine avait pris avant que la nuit tombât, et qu’elle avait relâchés ensuite. Un de ces bâtiments occupait à peu près le point milieu entre la frégate et le Feu-Follet, ayant jeté l’ancre après avoir fait des efforts infructueux pour avancer au nord, à l’aide du vent d’ouest expirant. Quoique la légère brise de terre qu’il faisait alors eût pu suffire pour le porter vers sa destination à raison d’un nœud ou deux, il semblait préférer rester où il était, et