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Les ombres des montagnes se projetaient bien loin sur la mer longtemps avant que le soleil fût descendu sous l’horizon ; parsemant tous les charmes du soir sur la côte orientale quelque temps avant de les faire partager à celle qui faisait face à l’occident. La Corse et la Sardaigne semblent être de vastes fragments des Alpes, jetés dans la mer par quelque convulsion de la nature, encore en vue de leur lit natal, et ressemblent, en quelque sorte, à des avant-postes de ces grandes murailles de l’Europe. Leurs montagnes ont la même formation, les mêmes pics blancs, — du moins pendant la plus grande partie de l’année, — et leurs flancs ont le même aspect mystérieux et déchiré. Cependant, indépendamment de leurs autres beautés, elles en ont une qui manque à la plupart des montagnes de la Suisse, quoiqu’on en rencontre des traces en Savoie et du côté méridional des Alpes ; elles ont cet étrange mélange du doux et du sévère, du sublime et du beau, qui caractérise si particulièrement la nature enchanteresse de l’Italie. Tel était en ce moment l’aspect de tout ce qui était visible du pont du Feu-Follet. La mer avec sa teinte d’un bleu foncé, perdait toutes les traces du vent d’ouest, et devenait lisse comme la surface d’une glace ; les montagnes, de l’autre côté, avaient un air grand et solennel, et montraient leurs contours raboteux qui se dessinaient sur un ciel brillant de toute la pompe qui termine le jour ; tandis que les vallées et les plaines plus voisines prenaient un air mystérieux, mais doux, couvertes par l’ombre des montagnes. Pianosa était presque en face, à une vingtaine de milles, s’élevant hors de l’eau comme un phare ; l’île d’Elbe se montrait au nord-est, mais ne paraissait plus alors qu’une pile sombre et confuse de montagnes ; et Ghita, une ou deux fois, crut distinguer sur la côte de l’Italie les contours obscurcis du mont Argentaro, où était sa demeure, quoique la distance, qui était de soixante à soixante-dix milles, rendît ce fait invraisemblable. À deux milles en mer, on voyait la frégate à l’ancre, ses voiles serrées, ses vergues brassées carré, tout en bon ordre, tout à sa place sur son pont, et formant un tableau parfait de symétrie. Il y a dans la vie, sur mer comme sur terre, des hommes de toute espèce, les uns prenant les choses comme elles viennent et se contentant de remplir leurs devoirs de la manière la plus tranquille, les autres concevant le même attachement pour leur navire qu’un fat pour sa propre personne, et ne se trouvant heureux qu’en cherchant à l’embellir. La sagesse en ceci, comme en beaucoup d’autres choses, se trouve entre les deux extrêmes : l’officier qui songe trop à l’apparence extérieure de son bâtiment accorde rarement une attention suffisante aux grands objets pour lesquels il a