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tion. Il y a une rivière nommée Golo dans laquelle il pourrait entrer, et je crois assez que c’est son projet. Au surplus, dans quatre heures d’ici nous saurons son secret.

Et ces quatre heures ne manquèrent pas d’intérêt. Il n’y avait du vent que plein un chapeau, mais c’était une bonne brise venant de l’ouest, qui semblait être née de la chaleur de la semaine précédente et avoir réuni en elle la force de deux ou trois zéphyrs. Elle n’était pourtant pas assez forte pour qu’aucun des deux commandants songeât à prendre des ris ; car, dans les circonstances où ils se trouvaient, il aurait fallu de graves raisons pour que l’un ou l’autre s’y décidât ; mais elle obligea pourtant la Proserpine à serrer ses perroquets de misaine et d’artimon, et consola Raoul de la perte de son mât de tape-cul. Lorsqu’il eut doublé le promontoire, et dans un moment où il s’imaginait que la frégate allait être obligée de virer, il saisit cette occasion pour amener sa misaine, la désenverguer, en enverguer une autre et la hisser, opération qui prit quatre minutes à vue de montre. Il en aurait fait autant à son autre voile avariée, mais le mât en valait à peine le risque ; et il pensa que les trous faits à la toile par les boulets pourraient produire le même effet que des ris, et diminuer sa pression sur le mât. En ces quatre heures, il n’y eut pas la différence d’un demi-nœud dans la distance parcourue par les deux bâtiments ; quoique chacun d’eux eût traversé plus de trente milles d’eau. Durant ce temps, ils s’étaient rapidement approchés de la côte de la Corse, dont les montagnes escarpées et couvertes de neiges presque éternelles avaient brillé à leurs yeux sous les rayons du soleil de l’après-midi, quoiqu’elles fussent à plusieurs lieues dans l’intérieur des terres. Mais alors la conformation de la côte se distinguait aisément, et une heure avant que le soleil disparût, Raoul prit ses amers pour se diriger vers la rivière dans laquelle il avait dessein d’entrer. La côte orientale de la Corse est aussi dépourvue de baies et de havres que la côte occidentale en est riche ; et, dans des circonstances ordinaires, le Golo, vers lequel Raoul faisait route, n’aurait jamais été regardé comme un lieu de refuge convenable. Mais Raoul avait une fois mouillé à son embouchure, et il pensait que c’était précisément l’endroit où il pourrait échapper à son ennemi. Il y avait des bas-fonds à son entrée, et il croyait, avec assez de raison, que cette circonstance ferait sentir au capitaine Cuff la nécessité de la circonspection.

Lorsque le soir approcha, la force du vent commença à diminuer, et toutes les craintes de l’équipage du lougre disparurent. Tous les mâts avaient résisté, et Raoul n’hésita plus à confier une nouvelle