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tance sur la frégate ; fait dont les Anglais eux-mêmes s’aperçurent si bien qu’ils ne tardèrent pas à cesser de tirer.

Jusque-là les choses allaient mieux que Raoul n’avait eu lieu de l’espérer d’abord, mais il savait fort bien que la crise était encore à venir. Le vent d’ouest fraîchissait souvent à cette heure de la journée, et s’il augmentait de force il aurait besoin de toutes ses voiles pour s’éloigner d’un bâtiment aussi renommé pour ses bonnes qualités que la Proserpine. Il ne savait combien de temps dureraient encore son mât et sa grande vergue ; mais comme il gagnait rapidement de la distance, il résolut de faire son foin pendant que le soleil brillait, et de tâcher d’avoir assez d’avance sur son ennemi avant que la brise fraîchît, pour être en état de changer ses voiles et de jumeler ses mâts sans être à portée des redoutables projectiles qui avaient causé tant d’avaries à sa voilure et à sa mâture. En attendant, il ne négligea pas les précautions convenables. Il fit monter des hommes dans le gréement pour assujettir les deux mâts autant que les circonstances le permettaient, et il fit en sorte que le lougre fût un peu soulagé en ne le tenant pas aussi près du vent, et en le laissant arriver sans donner assez de largue à la frégate pour établir ses bonnettes.

Il y a toujours quelque chose de si excitant dans une chasse, que les marins qui la font ne manquent jamais de désirer plus de vent qu’ils n’en ont, oubliant que le pouvoir qui augmenterait leur vitesse pourrait aussi ajouter à celle de l’ennemi qu’ils poursuivent, et même dans une proportion plus considérable. Il aurait été plus favorable au Feu-Follet d’avoir moins de vent qu’il n’en faisait en ce moment, puisque sa vitesse relative était plus grande par une légère brise que par un grand vent. Raoul avait appris d’Ithuel que la Proserpine était un bâtiment excessivement fin voilier, et surtout quand le vent avait de la force ; cependant il lui semblait que son lougre n’avançait pas avec assez de vitesse, quoiqu’il sût que celle de la Proserpine croîtrait en proportion supérieure à celle du Feu-Follet, si le vent venait à augmenter.

Les vœux du jeune corsaire furent pourtant bientôt exaucés. Le vent fraîchit considérablement, et quand les deux bâtiments entrèrent dans le canal de la Corse, comme on appelle le passage qui sépare cette île de l’île d’Elbe, la frégate fut obligée de carguer ses cacatois, et deux ou trois de ces voiles d’étai hautes et légères que les grands bâtiments avaient alors coutume de porter. Raoul avait d’abord cru qu’il pourrait atteindre Bastia, qui est situé précisément à l’ouest de l’extrémité méridionale de l’île d’Elbe ; et dans le fait, le vent lui