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canon, et Ithuel, à quelques pas plus loin, s’occupait à démonter une longue-vue pour en nettoyer les verres.

— Je suppose que le digne Andréa Barrofaldi chantera un Te Deum pour avoir échappé à nos griffes, s’écria tout à coup Raoul en riant. Parbleu ! c’est un grand historien, et personne n’est plus en état de rédiger le bulletin de cette grande victoire, que M. l’Anglais là-bas ne manquera pas d’envoyer à son gouvernement.

— Et vous, Raoul, n’auriez-vous pas lieu d’en chanter un vous-même, après avoir échappé à un si grand danger ? demanda Ghita d’un ton plein de douceur, mais avec emphase. N’y a-t-il pas pour vous, aussi bien que pour le vice-gouverneur, un Dieu à remercier ?

— Peste ! on ne songe guère à la Divinité en France en ce moment. Les républiques, comme vous le savez, n’ont pas grande foi en la religion. — Qu’en pensez-vous, mon brave Américain ? Avez-vous une religion en Amérique, Ithuel ?

Comme Ithuel connaissait déjà les opinions de Raoul sur ce sujet, et savait quel était alors l’état de la France, il ne montra ni n’exprima aucune surprise de cette question. Cependant cette idée était contraire à tous ses sentiments, car il avait appris de bonne heure à respecter la religion, même en s’occupant avec le plus de zèle à servir le diable. En un mot, Ithuel était un des descendants de ces puritains qui n’étaient occupés, en théorie, que du service de Dieu, mais qui, dans la pratique, songeaient davantage à leurs intérêts mondains, comme les scribes et les pharisiens. Néanmoins, il se déclarait toujours en faveur de la religion, ce qui lui avait valu quelques sarcasmes de la part de ses compagnons anglais.

— Je crains fort, monsieur Roule, répondit-il, que vous n’ayez pris en France le câble du républicanisme par le mauvais bout. En Amérique, nous mettons la religion même avant les dollars ; et si cela ne peut vous convaincre, je renonce à y réussir. — Je voudrais, signorina Ghita, que vous pussiez voir une fois un dimanche dans l’état du Granit ; vous pourriez alors vous faire une idée de ce que notre religion est réellement dans l’ouest.

— Toute religion, toute dévotion, Signor, est ou doit être la même en tous lieux, à l’est comme à l’ouest. Un chrétien doit être un chrétien, en quelque lieu qu’il vive ou qu’il meure.

— Je calcule que cela n’est pas tout à fait exact, Signorina. Ma religion ne ressemble pas plus à la vôtre qu’à celle de l’archevêque de Cantorbéry, ou à celle de M. Roule.

— À la mienne ! s’écria Raoul ; je ne prétends en professer aucune ; ainsi il n’y a nulle comparaison à faire.