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Le capitaine Cuff avait compris que sa tentative allait échouer, quand il avait vu le lougre, sous voiles et maître de ses mouvements, faire feu indifféremment sur la felouque et sur les canots ; mais quand il vit ceux-ci se retirer à la hâte vers la baie, il ne douta plus qu’ils n’eussent été maltraités, et il s’attendit à une perte sérieuse, quoique moins considérable que celle qui avait été faite. Il ne voulut pas interroger son premier lieutenant avant que sa blessure eût été pansée ; mais dès que les canots eurent été hissés à bord et mis à leur place, il fit venir Griffin dans sa chambre.

— Eh bien, monsieur Griffin, vous m’avez mis, vous tous, dans un chien d’embarras en voulant attaquer avec des canots un Fiou-Folly et un Raoul Yvard. Que dira l’amiral, quand il viendra à apprendre que vingt-deux hommes ont été tués ou blessés, et que nous aurons à payer la valeur d’une felouque pour une matinée d’amusement que vous avez voulu avoir ?

— Réellement, capitaine Cuff, nous avons fait de notre mieux ; mais il serait aussi facile de chercher à arrêter une éruption du mont Vésuve avec des boules de neige, que de résister à la mitraille de cet infernal lougre. Je crois qu’il n’y avait pas sur toute la felouque un espace de trois pieds carrés qui n’en fût criblé. Jamais nos hommes ne se comportèrent mieux, et jusqu’au dernier hourra que nous poussâmes, je me crus aussi sûr de prendre le Feu-Follet que de l’avancement que cette prise me vaudrait.

— Oui, ils n’ont plus besoin de l’appeler le Fiou-Folly, le Grand-Folly serait un nom qui lui conviendrait mieux. — Et pourquoi diable avez-vous crié hourra ? Avez-vous jamais entendu beugler ainsi à bord d’un bâtiment français ? Vos chiens de hourra vous ont fait reconnaître pour Anglais avant que vous fussiez assez près pour les aborder. Il fallait crier — vive la raipublic ! — comme le font les équipages de tous les bâtiments de cette nation que nous attaquons. Un hourra anglais régulier fendrait le gosier d’un Français.

— Je crois qu’à cet égard nous avons fait une méprise, capitaine ; mais je n’ai jamais assisté à un combat sans entendre des hourras, et quand l’affaire entre les canots et la felouque commença à devenir chaude, ou, pour mieux dire, à le paraître, j’avoue que je m’oubliai un peu moi-même. Mais, malgré tout cela, nous aurions pris le lougre si n’eût été une seule chose.

— Et quelle est cette chose, Griffin ? Vous sentez qu’il faut que j’aie quelque chose de plausible à dire à l’amiral. Il ne conviendrait pas qu’on lût dans la gazette que nous nous sommes fait battre pour avoir crié hourra mal à propos.