Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque irrégularité dans les courants d’air, la brise du sud, généralement légère et inconstante, ayant montré encore plus de légèreté et d’inconstance que de coutume. Cependant, comme on l’a vu, il y avait assez d’air pour donner du mouvement à un navire, et si Raoul eût voulu en profiter, comme les équipages des deux autres bâtiments, il aurait pu avoir alors doublé l’extrémité occidentale de l’île d’Elbe et se trouver à l’abri de tout danger. Quoi qu’il en soit, il s’était borné jusqu’alors à surveiller ce qui se passait, pour voir quel en serait le résultat, et il avait souffert que les autres bâtiments s’approchassent de lui.

Il faut convenir aussi que la ruse de la felouque avait été bien combinée, et elle paraissait sur le point d’être admirablement exécutée. Si Ithuel n’avait pas si positivement reconnu la Proserpine, s’il n’avait eu la certitude complète que c’était son ancienne prison, comme il l’appelait avec amertume, il est assez probable que l’équipage du lougre aurait été la dupe d’un tour si bien concerté. Les opinions étaient même encore divisées sur ce sujet, et Raoul lui-même était plus d’à demi disposé à croire que l’Américain se trompait pour cette fois, et que la frégate qu’on avait en vue était véritablement ce qu’elle prétendait être — un croiseur de la république française.

Winchester, qui était à bord de la felouque, et Griffin, qui commandait les canots, jouèrent leurs rôles à ravir. Ils connaissaient trop bien l’adresse et l’expérience de l’ennemi auquel ils avaient affaire pour négliger les moindres détails d’un plan bien concerté. Au lieu de s’avancer en droite ligne vers le lougre, dès que la chasse commença, la Divina Providenza parut disposée à entrer dans la baie, et à y chercher un mouillage sous la protection d’une petite batterie qui avait été établie dans ce dessein près de l’entrée. Mais la distance était si grande, que cette tentative aurait évidemment été inutile ; et après avoir marché quelques minutes dans cette direction, le cap de la Divina Providenza fut mis au large, et elle parut faire tous les efforts possibles pour se placer sous la protection du lougre. Tout cela se passa sous les yeux de Raoul, qui ne quittait pas un instant sa longue-vue, et qui épiait le moindre mouvement avec inquiétude et méfiance. Winchester, heureusement pour son projet, avait le teint basané, une taille moyenne et de gros favoris, comme cela arrive souvent à un marin qui néglige de les tailler pendant une longue croisière ; et avec son bonnet rouge phrygien, sa chemise rayée et ses pantalons de coton blanc, il ressemblait à un Italien aussi bien qu’il pouvait le désirer. Le choix des hommes qui se montraient sur le pont avait été fait en grande partie d’après leur mine : la plupart