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der l’ennemi en vue pendant le jour, parce qu’il serait plus facile de lui cacher sa marche pendant la nuit ; mais le fait est que le désir de garder Ghita sur son bord le plus longtemps possible y était pour beaucoup, et il avait, pendant la matinée, passé une heure délicieuse auprès d’elle dans sa chambre. Mais il n’en était pas moins vrai que son œil intelligent ne laissait pas le moindre incident lui échapper, et qu’il était toujours prêt à donner les ordres que les circonstances pourraient exiger. Il n’en était pas tout à fait de même d’Ithuel. La Proserpine était l’objet de sa haine invétérée, et même en déjeunant, ce qu’il fit tout exprès sur le pied du beaupré, ses yeux ne s’en écartèrent pas une minute, si ce n’est pendant le court intervalle qu’elle fut cachée par le promontoire. Personne à bord du lougre ne pouvait dire si l’on savait à Porto-Ferrajo ce qu’elle était ; mais les feux de conserve allumés la nuit à une fenêtre de la maison du vice-gouverneur, et que l’Américain avait vus de ses propres yeux, rendaient probable, pour ne rien dire de plus, qu’on en était instruit, et qu’il fallait plus de précaution qu’on n’en aurait pris sans cela. Quant à la felouque, on ne voyait en elle rien qui inspirât la méfiance, et l’air de confiance avec lequel elle s’approchait du lougre, semblait donner lieu de croire qu’elle ignorait que le Feu-Follet fût un bâtiment ennemi.

— Cette felouque est celle qui était à l’ancre près de l’escalier, dit tranquillement Raoul, qui était venu sur le gaillard d’avant pour causer avec Ithuel ; elle se nomme la Divina Providenza, et elle fait un commerce de contrebande entre Livourne et la Corse ; où elle va probablement en ce moment. Elle a été bien hardie de se mettre en route dans de pareilles circonstances.

— Livourne est un port libre, dit Ithuel, et l’on n’a pas besoin d’y porter de la contrebande.

— Libre pour les pays amis, mais non libre pour aller et venir entre des pays ennemis. Nul port n’est libre dans ce sens, et un bâtiment commet un acte de trahison quand il entre dans un port ennemi, — à moins qu’il ne lui arrive d’être le Feu-Follet, ajouta Raoul en riant ; car nous avons nos privilèges, mon brave.

— Qu’elle veuille aller en Corse ou à Capraya, elle n’y arrivera pas aujourd’hui, à moins qu’elle n’ait plus de vent. Je ne conçois pas comment elle a mis à la voile sans avoir plus d’air qu’il n’en faut pour agiter un mouchoir de poche.

— Ces felouques, comme notre petit lougre, glissent sur la mer, même quand il n’y a pas un souffle de vent. D’ailleurs elle va peut-être à Bastia, et dans ce cas, elle a raison de chercher à gagner le large