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des signaux que ferait la frégate, les hauteurs situées entre elle et les maisons en intercepteraient la vue ; enfin il y avait encore une plus grande impossibilité physique à ce qu’un bâtiment qui avait jeté l’ancre dans la baie pût apercevoir un navire au large au nord du promontoire.

Ainsi se passèrent les heures. Une légère brise de terre se fit sentir, mais elle entrait si directement dans la baie, que Raoul ne voulut pas lever l’ancre. Ghita et son oncle, Carlo Giuntotardi, étaient arrivés à bord à environ dix heures, mais on ne voyait encore aucun signe de mouvement sur le lougre. Pour dire la vérité, Raoul n’était nullement pressé de mettre à la voile, car il n’en jouirait que plus longtemps du bonheur d’avoir près de lui l’aimable Ghita, et il était presque certain que le zéphyr du lendemain conduirait le Feu-Follet à la presqu’île formant le promontoire de Monte-Argentaro, sur lequel s’élevaient les tours dont Carlo était le gardien, et dans l’une desquelles il demeurait. Qu’en pareille circonstance il ait oublié l’arrivée de la brise de terre, ou qu’il n’ait pas voulu en profiter, on ne doit pas en être surpris. Il resta longtemps assis près de Ghita sur le pont, et ce ne fut qu’après minuit qu’il put consentir à ce qu’elle se retirât dans la chambre qui lui avait été préparée. Dans le fait, Raoul comptait avoir si bien réussi à tromper tout le monde à terre, qu’il n’avait aucune crainte de ce côté, et, désirant prolonger son bonheur le plus longtemps possible, il résolut de ne mettre à la voile que lorsque le vent du sud soufflerait dans la matinée, comme de coutume, ce qui suffirait pour le conduire dans le canal, où le zéphyr ferait le reste. L’audacieux corsaire ne se doutait guère de ce qui s’était passé à terre depuis qu’il l’avait quittée, et il ignorait que Tommaso Tonti était aux aguets sur le havre, prêt à donner avis du premier symptôme de départ qu’il apercevrait à bord du lougre.

Mais tandis que Raoul ne songeait à rien moins qu’au péril qu’il courait, Ithuel Bolt était bien loin de partager sa sécurité. La Proserpine occupait toujours toutes ses pensées, comme l’objet d’une haine implacable. Il en détestait non-seulement les mâts, les voiles et tout le gréement, mais chaque individu, officier ou matelot, qu’elle portait, le roi au service duquel elle était, et la nation sous le pavillon de laquelle elle naviguait. Une haine active est la plus infatigable de toutes les passions ; et ce sentiment tenait sans cesse l’attention d’Ithuel fixée sur toutes les chances qui pouvaient rendre la frégate dangereuse pour le lougre. Dans cette situation d’esprit, il lui parut possible que la Proserpine revînt chercher son ennemi à Porto-Ferrajo ; et, la tête pleine de cette idée, il ne se coucha à neuf heures