Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je vous le dis franchement, Signor, je ne le sais pas. Ving-y-Ving n’est pas anglais, et je ne sache pas que ce soit de l’italien.

Cette assertion fit perdre beaucoup de terrain à M. Griffin, car elle impliquait un doute des connaissances d’Andréa dans les langues étrangères.

— Vous dites, si je vous comprends bien, signor tenente, que ving y ving n’est pas anglais ?

— Je le dis, Signor ; du moins c’est de l’anglais que je n’ai jamais entendu ni sur terre ni sur mer ; car nous autres marins nous avons une langue à nous.

— Me permettrez-vous de vous demander ce que signifie ala e ala, mot pour mot ?

Le lieutenant réfléchit un instant, sourit malgré lui, et répondit en reprenant sur-le-champ un air de respect et de gravité :

— Je crois vous comprendre à présent, signor vice-gouverneur. Nous avons une phrase nautique pour désigner un bâtiment à voiles en pointes, ayant deux voiles qui se balancent, une de chaque côté ; mais nous l’appelons wing and wing[1].

— C’est cela même, Signor, — ving y ving, — et c’est le nom du lougre de votre roi, qui est en ce moment à l’ancre dans notre baie.

— Ah ! c’est ce que nous pensions, Signor. Le drôle vous a trompé comme il en a trompé une centaine d’autres avant vous, et comme il en trompera encore une centaine, à moins que nous ne le prenions cette nuit. Ce lougre est un célèbre corsaire français, et nous avons en ce moment six croiseurs qui le cherchent, nous compris. Il s’appelle le Feu-Follet, ce qui signifie en anglais, non wing and wing, mais will o’the wisp, ou Jack o’Lantern ; — ce que vous appelleriez en italien il Fuoco-Fatuo. Son commandant se nomme Raoul Yvard, et jamais corsaire plus déterminé n’est sorti des ports de France, quoiqu’on lui accorde quelques bonnes qualités et même de la noblesse d’âme.

À chaque mot que prononçait le lieutenant, une page d’histoire s’effaçait de la mémoire du vice-gouverneur. Il avait entendu parler du Feu-follet et de Raoul Yvard, et au milieu de l’amertume causée par une guerre acharnée, on avait peint ce dernier sous toutes les couleurs qui caractérisent un pirate. La pensée qu’il avait été la dupe d’un corsaire, qu’il l’avait accueilli avec hospitalité, et qu’il n’y avait pas encore une heure qu’il causait amicalement avec lui, avait quelque chose de trop humiliant pour sa philosophie pour qu’elle pût se

  1. En français, voiles en ciseaux. (Notre du traducteur.)