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de bonne prise ; mais, pour lui rendre justice, il n’était pas dans l’habitude d’attaquer des bâtiments de cette classe. Cependant il aperçut une felouque, arrivant du nord, qui doublait le promontoire en ce moment, et il résolut d’avoir quelque communication avec elle dès qu’il serait de retour au port, afin de s’assurer si elle avait rencontré la frégate. Il venait de prendre cette résolution, quand le podestat, s’acquittant de sa mission, arriva près de lui, et ils entrèrent ensemble dans la maison.

Il est inutile de rendre compte de la conversation qui suivit ; elle roula sur la littérature et sur des sujets étrangers à notre histoire, le digne vice-gouverneur voulant récompenser la franchise du jeune marin en lui donnant toutes les instructions que le temps et les circonstances permettaient. Raoul soutint parfaitement cette épreuve, attendant patiemment l’approche de la nuit, ne doutant pas qu’alors il ne trouvât Ghita sur la promenade. Comme il avait découvert qu’il ferait mieux de se méfier de lui-même que d’afficher des prétentions, la tâche de tromper le vice-gouverneur lui devint comparativement plus facile ; et en le laissant dire tout ce qu’il voulait, il réussit non-seulement à le faire croire à sa véracité, mais à passer dans son esprit pour un jeune homme ayant plus d’érudition qu’il ne l’avait d’abord supposé. Par ce moyen aussi simple que naturel, Raoul fit plus de progrès en deux heures dans les bonnes grâces d’Andréa Barrofaldi, qu’il n’aurait pu le faire en un an en faisant parade de ses connaissances réelles ou supposées.

Il y a peu de doute que le vice-gouverneur ne trouvât cette entrevue fort agréable, puisqu’il parut disposé à la prolonger ; et il n’est pas moins certain que Raoul Yvard la regarda comme un des devoirs les plus difficiles qu’il eût jamais été appelé à remplir. Quant à Vito Viti, il fut plongé comme dans une extase perpétuelle, et il ne chercha pas à la cacher, car il interrompait souvent la conversation par des expressions de plaisir, et il hasardait de temps en temps une remarque, comme pour faire ressortir son ignorance.

— J’ai eu bien des preuves que vous êtes savant, vice-gouverneur, s’écria-t-il à l’instant où Andréa finissait une dissertation d’une demi-heure sur l’histoire ancienne de toutes les nations du Nord, mais je ne vous avais jamais vu si savant qu’aujourd’hui. Oui, Signor, vous avez été illustre ce soir. — N’est-il pas vrai, signor Smit ? Aucun professeur de Pise, ni même de Padoue, n’aurait pu mieux traiter le sujet dont nous venons d’entendre parler.

— Signor podestat, dit Raoul, le sentiment qui a dominé dans mon esprit pendant l’admirable dissertation du signor Barrofaldi, a été