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bien des années, quoiqu’il soit certain que je ne vous ai jamais vue.

— C’est peut-être un signe que nous devons nous connaître longtemps dans l’avenir, dit Mildred avec la confiance attrayante de la jeunesse, dont l’innocence ne connaît pas le soupçon. — J’espère que vous n’userez pas de réserve avec moi.

— Eh bien ! au risque de faire une lourde bévue, je vous dirai que — mon neveu Tom — ne me paraît avoir rien de ce qui prévient en faveur d’un jeune homme, et que j’espère que tous les yeux de cette maison le voient tel qu’il paraît à ceux d’un marin de cinquante-cinq ans.

— Je ne puis répondre que de ceux d’une fille de dix-neuf, amiral Bluewater, répondit Mildred en riant ; mais, quant à elle, je crois pouvoir dire qu’elle ne le regarde ni comme un Adonis, ni comme un Crichton.

— Sur mon âme ! je suis charmé de vous entendre parler ainsi, car le drôle tient du hasard des avantages suffisants pour le rendre formidable. Il est héritier du baronnet, je pense et il aura un jour son titre et son domaine.

— Je le présume. Sir Wycherly n’a pas d’autre neveu, c’est-à-dire, celui-ci est l’aîné de ses deux frères. Et comme le baronnet n’a pas d’enfants, ce que vous dites doit arriver. Mon père m’a dit que sir Wycherly parle toujours de M. Thomas Wychecombe comme devant être son héritier.

— Votre père, oh ! oui. Les pères, en pareil cas, ne voient pas les choses avec les mêmes yeux que les filles.

— Il y a dans ces marins, dit Mildred en souriant, une chose qui rend leur connaissance exempte de tout danger ; je veux dire leur franchise.

— C’est mon défaut, comme je l’ai entendu dire. Mais vous excuserez une indiscrétion qui prend sa source dans l’intérêt que vous m’avez inspiré. Tom, dites-vous, est l’aîné des trois frères. Le lieutenant est-il un des cadets ?

— Je crois qu’il n’est pas de la même famille, répondit Mildred, rougissant un peu, en dépit de la ferme résolution qu’elle avait prise de ne montrer aucune émotion. J’ai entendu dire que le lieutenant Wycherly Wychecombe n’est point parent du baronnet, quoiqu’il porte les deux mêmes noms. Il est né en Virginie, une de nos colonies d’Amérique.

— C’est un noble jeune homme, et il a l’air noble. Si j’étais le baronnet, j’enverrais la substitution à tous les diables plutôt que de souffrir que ce neveu à figure sinistre héritât de mes acres de terre,