sentiments qu’il avait évidemment pour Mildred lui avaient été inspirés par son esprit, sa conduite, son caractère et ses goûts, autant que par les charmes de son extérieur.
Cette courte digression excusera peut-être aux yeux du lecteur l’intérêt que le contre-amiral prit à cette jeune fille. Avec le ton d’indulgence qui convenait à son âge et à son rang, il réussit à la faire parler sans alarmer sa timidité, et ce fut avec surprise qu’il découvrit la délicatesse de ses sentiments et l’exactitude de ses connaissances. Il avait trop d’habitude de la société et trop de jugement pour faire parade de ses opinions ; mais avec l’aisance d’un homme qui connaissait le monde et qui aimait la vérité, il parvint à la faire répondre à ses remarques, et il vit que les idées de Mildred sympathisaient avec les siennes, car elle souriait quand elle le voyait sourire, et ses traits prenaient un air de désapprobation quand elle l’entendait exprimer la sienne. Le lieutenant Wychecombe était le témoin ravi de cette petite scène, et il prenait même quelquefois part à leur conversation, car il était évident que le contre-amiral ne cherchait pas à accaparer sa belle voisine. Peut-être la position du jeune homme en face d’elle portait-elle Mildred à s’entretenir sans contrainte avec le vieil officier ; car toutes les fois que ses yeux se portaient de l’autre côté de la table, elle ne manquait jamais de rencontrer ceux de Wychecombe, et d’y trouver un regard d’encouragement.
Il est certain que si elle ne fit pas, pendant le repas, la conquête de l’amiral Bluewater, dans le sens ordinaire de cette expression, elle s’en fit du moins un ami. Sir Gervais lui-même fut frappé de la manière singulière et exclusive dont son ancien compagnon donnait toute son attention à la jeune fille qui était à son côté, et il se demanda une ou deux fois s’il était possible qu’un homme aussi sensé et aussi habitué à la société des beautés de la cour que l’était Bluewater, se fût laissé surprendre, à l’âge de plus de cinquante ans, par une beauté campagnarde. Rejetant cette idée comme absurde, il chercha à écouter son hôte, qui faisait une dissertation sur les lapins de garenne. Ainsi se passa le dîner.
Mistress Dutton demanda au baronnet la permission de quitter la table avec sa fille, dès qu’elle put le faire sans manquer aux convenances. En sortant de la salle à manger, elle jeta un regard inquiet sur son mari, dont les joues portaient déjà l’empreinte de trop fréquentes libations de porto, et, en dépit des efforts qu’elle fit pour prendre un air enjoué, des larmes coulaient le long de ses joues quand elle entra dans le salon. Sa fille n’eut besoin d’aucune explication ; elle se jeta dans les bras de sa mère, et pendant quelques minutes