Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ce qu’il paraît, sans être accompagné d’un seul Français, et il s’est entièrement confié aux nobles Écossais et aux partisans égarés de sa maison.

— C’est du moins un acte chevaleresque et digne d’un prince, dit Bluewater.

— Oui, car c’est l’acte d’un insensé et d’un extravagant. L’Angleterre ne peut être vaincue par quelques hordes d’Écossais à demi nus.

— D’accord ; mais l’Angleterre peut être vaincue par l’Angleterre.

Sir Gervais ne voulut rien répondre, car jamais il n’avait vu Bluewater si près de trahir ses opinions politiques en présence d’un tiers. Ce moment de silence permit à sir Wycherly de recouvrer l’usage de la voix.

— Voyons, Tom, dit-il, calculons. — il y a… oui, il y a trente ans que les jacobites se sont insurgés en Écosse. Il paraît que la moitié de la vie humaine ne suffit pas pour calmer la soif d’un Écossais pour l’or de l’Angleterre.

— Deux fois trente ans suffiraient à peine pour calmer l’ardeur d’un esprit plein de noblesse, à qui ses idées de justice montrent le chemin du trône d’Angleterre ; dit Bluewater avec sang-froid. Quant à moi, j’admire le courage de ce jeune prince, car celui qui ose noblement mérite d’être noblement aidé. — Qu’en dites-vous, ma belle voisine ?

— Si c’est à moi que ce compliment s’adresse, Monsieur, répondit Mildred d’un ton modeste, mais avec cette énergie que la femme la plus douce sait montrer quand elle sent vivement, il doit m’être permis de dire que j’espère que tout Anglais osera aussi noblement, et méritera d’être aidé aussi noblement pour la défense de sa liberté.

— Allons, allons, Bluewater, dit sir Gervais avec une gaieté qui touchait au reproche, je ne puis permettre qu’on parle ainsi devant une jeune personne si ingénue. D’après la manière froide avec laquelle vous faites vos plaisanteries, elle pourrait supposer que l’escadre de Sa Majesté est commandée par des hommes indignes de sa confiance. — Je propose maintenant, sir Wycherly, que nous finissions de dîner en paix, et qu’il ne soit plus question de cette folle expédition, du moins jusqu’à ce que la nappe soit levée. Il y a loin d’ici en Écosse, et il n’y a guère de danger que cet aventurier arrive dans le Devonshire avant que les noisettes soient sur la table.

— Et quand il y arriverait, sir Gervais, ce ne serait pour nous que des noisettes, dit Tom, riant de tout son cœur de ce trait d’esprit. Rien ne ferait plus de plaisir à mon oncle que de voir ce souverain supposé, ici, sur son domaine, entre les mains de ses tenanciers. Je