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de ce qu’elles étaient autrefois ; il ne conservait aucune trace de l’importance plus ou moins considérable qu’il avait pu avoir ; et s’il gardait encore sa place sur la carte du comté, il n’en était redevable qu’à son antiquité, et à la circonstance qu’il avait donné son nom à une des plus anciennes familles d’Angleterre.

Il n’était donc pas étonnant que l’arrivée d’une escadre sur la rade eût fait grand bruit dans ce petit hameau. Le mouillage était excellent, en ce qui concerne le fond ; mais on pouvait à peine l’appeler une rade sous tout autre point de vue, car il n’offrait d’abri contre aucun vent, si ce n’est celui qui venait de la terre, et ce vent n’était pas commun dans cette partie de l’île de la Grande-Bretagne. De temps en temps un croiseur mettait en panne au large, et quelques frégates y étaient entrées pour y jeter l’ancre pendant une ou deux marées, et attendre un changement de vent ; mais c’était la première escadre qu’on y eût jamais vue de temps immémorial. Le brouillard avait empêché les honnêtes habitants d’apercevoir les bâtiments ; mais les deux coups de canon qui avaient été tirés leur avaient donné l’éveil, et la nouvelle importante s’était rapidement répandue dans toute la contrée adjacente. Quoique Wychecombe ne fût pas en vue de la mer, sa petite rue, quand les deux baronnets y entrèrent, était déjà remplie de marins, chaque bâtiment de la flotte ayant envoyé au moins un canot à terre, et quelques-uns même deux ou trois. On y voyait des maîtres d’hôtel de capitaines, de midshipmen cherchant à fourrager, des hommes chargés du soin des malades à bord des navires, et d’autres harpies de cette espèce ; car c’était une partie du monde où les vivandières étaient inconnues, et si la montagne ne voulait pas venir à Mahomet, il fallait que Mahomet allât à la montagne. Une demi-heure avait suffi pour épuiser toutes les ressources du hameau, et le prix du lait, des œufs, du beurre, du pain, des légumes et des fruits qui étaient mûrs, avait déjà augmenté de cent pour cent.

Sir Gervais avait nommé son escadre « l’escadre du Sud, » parce qu’elle avait croisé dans la baie de Biscaye depuis six mois. C’était une station désagréable pendant l’hiver, car les éléments exposaient à de plus grands dangers que ceux qu’on avait à craindre des ennemis. L’escadre s’était pourtant strictement acquittée de ses devoirs, car elle avait efficacement protégé plusieurs convois richement chargés venant des Indes occidentales et orientales, et elle avait capturé plusieurs frégates ennemies ; mais le service avait été excessivement fatigant, et accompagné de mille privations pour tous ceux qui y étaient employés. La plupart de ceux qui venaient de débarquer