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couant l’épaule de son maître pour tâcher d’éveiller ses souvenirs. Ces câbles, cette ancre et ce mât d’artimon sur lequel flotte un pavillon de contre-amiral, ont été placés dans cette vieille église en l’honneur de notre ami, l’amiral Bleu, qui est mort et enterré depuis bien des années.

— Amiral Bleu ! répéta sir Gervais d’un ton froid. Vous vous trompez, Galleygo. Je suis amiral de l’escadre blanche, et en outre amiral de la flotte. Je connais mon rang, Monsieur.

— Je sais cela aussi bien que vous, sir Gervais, et aussi bien que le premier lord de l’amirauté. Mais l’amiral Bleu était autrefois votre meilleur ami, et je ne suis pas du tout content de voir que vous l’avez oublié. — Par une de ces longues nuits vous m’oublierez aussi.

— Je vous demande pardon, Galleygo ; je ne le crois pas. Je me souviens du temps où vous étiez encore tout jeune.

— C’est bien ; mais vous pourriez aussi vous souvenir de l’amiral Bleu, si vous vouliez l’essayer. Je vous ai connus tous les deux quand vous n’étiez encore que midshipmen.

— Cette scène est bien pénible, dit l’étranger de moyen âge à sir Wycherly, avec un sourire mélancolique. Vous voyez ici un homme qui est sur le tombeau de son plus cher ami, et qui ne paraît pas même se souvenir que cet ami ait jamais existé. À quoi bon vivre longtemps, si quelques courtes années peuvent affaiblir à ce point notre mémoire !

— Est-il depuis longtemps dans cette situation ? demanda lady Wychecombe avec intérêt.

L’étranger tressaillit au son de sa voix. Il la regarda avec attention, la salua, et lui répondit enfin :

— Il y a cinq ans, Madame. Cependant la visite qu’il a faite ici l’année dernière avait un caractère moins pénible. Mais pouvons-nous compter nous-même sur notre mémoire ? Vos traits ne me sont certainement pas inconnus, et ces jeunes dames elles-mêmes…

— Geoffrey ! mon cher cousin Geoffrey ! s’écria lady Wychecombe en lui tendant les deux mains. C’est lui ! c’est le duc de Glamorgan, Wycherly !

Il ne fallut pas d’autre explication. La reconnaissance fut faite en un instant. Il y avait bien des années qu’ils ne s’étaient vus, et chacun d’eux avait passé l’époque de la vie où le plus grand changement s’opère dans les traits. Mais, dès que la glace fut rompue, des flots de souvenirs se présentèrent à eux. Le duc, ou Geoffrey Cleveland, comme nous aimons encore à l’appeler, embrassa sa cousine et