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l’ascendant momentané que l’âme reprenait sur la matière, quand la première est sur le point d’abandonner pour toujours son habitation terrestre, circonstance qui n’est pas rare dans les hommes doués d’une intelligence forte et active, toutes leurs facultés se ranimant un moment dans leurs derniers instants, comme la dernière lueur que jette une lampe qui est près de s’éteindre. S’étant approché du lit, il examina avec soin son patient, et fut convaincu que sa mort était très-prochaine.

— Vous êtes homme et marin, sir Gervais, dit-il d’une voix très-basse, et il ne servirait à rien de vouloir tromper votre jugement dans un cas de cette nature. Notre respectable ami le contre-amiral est in articulo mortis, comme on peut dire ; il est impossible qu’il vive plus d’une demi-heure.

Sir Gervais tressaillit ; il regarda autour de lui avec un air d’impatience, car il aurait donné tout au monde pour être seul avec son ami mourant ; mais il hésitait à faire une demande qui suivant lui pouvait paraître contraire aux convenances. Il fut tiré de cet embarras par Bluewater lui-même, qui ne fut pas arrêté par les mêmes scrupules. Faisant signe au chirurgien de s’approcher de lui, il lui exprima le désir d’être laissé seul avec le commandant en chef.

— Ce ne sera pas contrevenir aux règles de la pratique que de céder aux désirs de ce pauvre homme, murmura Magrath tout en regardant autour de lui pour recueillir les instruments de sa profession, comme un ouvrier ramasse ses outils quand il va quitter l’endroit où il travaille peut aller dans un autre ; — ainsi nous ferons ce qu’il demande.

À ces mots, il poussa Geoffrey et Galleygo hors de la chambre, en sortit lui-même, et ferma la porte.

Se trouvant seul, sir Gervais s’agenouilla près du lit de son ami, et pria, tenant une de ses mains dans les siennes. L’exemple de mistress Dutton et les désirs de son propre cœur le portèrent à cet acte religieux, et quand il fut terminé il se sentit soulagé des sensations qui l’étouffaient.

— Me pardonnez-vous, Gervais ? demanda Bluewater.

— Vous pardonner ! — Que voulez-vous dire, mon vieil ami ? Nous avons tous besoin de pardon, parce que nous avons tous nos instants de faiblesse. — Puisse Dieu oublier tous mes péchés comme j’ai oublié les erreurs que vous avez pu commettre !

— Que Dieu vous protège, Oakes, et qu’il vous conserve le caractère de simplicité de cœur, de franchise et d’honneur, que je vous ai toujours connu.