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exemple ou les conseils pervers d’hommes dégagés ainsi des liens habituels de la société, ne sont pas même en état de détruire entièrement le respect créé pour Dieu par une demeure constante au milieu de sa magnificence terrestre. Ce sentiment n’avait pas été tout à fait sans produire des fruits en Bluewater, car il avait beaucoup lu et beaucoup réfléchi. Quelquefois même, quoiqu’à des intervalles éloignés, il priait, — priait avec ferveur, et non sans un sentiment vif et solennel de ses démérites. Par suite de cette disposition générale, et de la conviction passagère qui en était le résultat, son esprit était mieux en accord avec la crise dans laquelle il se trouvait, que cela n’eût pu arriver à beaucoup de ses frères d’armes, à qui, lorsqu’ils sont surpris par un destin si commun dans leur profession, il ne reste ordinairement, pour les soutenir dans leurs derniers moments, qu’une faible étincelle de l’enthousiasme produit par la victoire.

D’un autre côté, sir Gervais était aussi simple qu’un enfant dans les affaires de cette sorte. Il avait du respect pour son créateur, et les idées générales de sa bonté et de son amour pour toutes ses créatures, que les hommes bien disposés sont portés à en concevoir ; mais tous les dogmes sur la condition déchue de la race humaine, sur la médiation du Rédempteur, et sur le pouvoir de la foi, flottaient devant son esprit comme des opinions qu’il ne fallait pas controverser, et auxquelles il était inutile de réfléchir ; en un mot, le commandant en chef admettait l’hérésie pratique, qui couvre d’une ombre la foi de millions d’êtres, tandis qu’il se regardait comme un champion imperturbable de l’église et de la royauté. Cependant, en certaines occasions, sir Gervais Oakes était plus disposé que de coutume à être sérieux, et même porté à être dévot ; mais c’était sans avoir beaucoup. d’égard pour les théories religieuses et la révélation. En de pareils moments, ses opinions n’auraient pu le faire admettre dans le giron d’aucune église chrétienne en particulier ; mais ses sentiments auraient pu le faire prendre pour appartenir à toutes. En un mot, il offrait en sa personne un assez bon exemple de ce que de vagues généralités, agissant sur un tempérament disposé à recevoir des impressions morales, rendent la grande majorité des hommes qui voltigent autour des mystères d’un état futur, sans s’arrêter aux consolations de la foi, et sans découvrir aucune de ces conclusions logiques qu’ils semblent attendre la moitié du temps sans le savoir eux-mêmes. Quand Bluewater fit sa dernière remarque, le vice-amiral le regarda donc avec grande attention, et pour la première fois depuis que son ami avait été blessé, des idées religieuses se mêlèrent à