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Tous les traits de Mildred respiraient l’angoisse, mais cette question en changea entièrement l’expression. Le moment était extraordinaire, et les sentiments qu’il fit naître en elle ne le furent pas moins. Presque sans le savoir, elle porta à ses lèvres, avec une sorte de respect, la main qui tenait la sienne, et au même instant Wycherly lui passa un bras autour de la taille, et la serra contre son cœur.

— Rentrons la maison, dit Mildred en se dégageant de la position dans laquelle elle se trouvait involontairement, quoique le cœur y eût trop de part pour que sa délicatesse en fût alarmée. — Je suis sûre que l’amiral Bluewater s’apercevra de mon absence.

— Non, Mildred, notre entrevue ne peut se terminer ainsi. Donnez-moi du moins la faible consolation de savoir que, si cette difficulté n’existait pas, — si vous étiez orpheline, par exemple, vous consentiriez à être à moi ?

— Oh ! Wycherly ! avec quel plaisir avec quelle joie ! Mais n’en parlons plus. — Eh bien ! — non, — non.

Pour cette fois, le jeune lieutenant la serra dans ses bras plus longtemps et avec plus de ferveur que la première fois ; et il avait le cœur trop marin pour souffrir qu’elle lui échappât avant qu’il eût pris un baiser sur ses lèvres. Après cet adieu caractéristique, et dès qu’il lui eut rendu la liberté, elle remonta sur le plateau du promontoire, et courut d’un pied léger vers la maison de sa mère. Pendant ce temps, nous allons changer de scène, et nous transporter sous la tente de sir Gervais Oakes.

— Vous venez de voir l’amiral Bluewater ? dit le commandant en chef avec la vivacité d’un homme déterminé à apprendre même la nouvelle la plus fâcheuse, en voyant Magrath entrer dans sa chambre. — Si cela est, dites-moi sur-le-champ s’il reste quelque espérance pour sa vie.

— De toutes les passions humaines, sir Gervais, répondit Magrath en regardant d’un autre côté pour éviter les yeux perçants du vice-amiral, l’espérance est généralement considérée par tous les hommes raisonnables comme la plus trompeuse et la plus perfide ; et de toutes les espèces et dénominations d’espérance, la plus incertaine est celle qui est fondée sur la durée de la vie humaine. Nous espérons tous, à ce qu’il me semble, vivre jusqu’à un âge assez avancé, et pourtant combien de nous ne vivent que le temps nécessaire pour être désappointés !

Sir Gervais resta immobile jusqu’à ce que le chirurgien eût cessé de parler, et alors il se mit à se promener sous sa tente dans un