Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vement qui avait lieu sur le promontoire et le nombre de personnes qui venaient sans cesse près de la maison, ne lui laissaient aucune chance de voir Mildred seule chez elle, et il avait espéré que, conduite par quelque sympathie secrète, elle aurait pu chercher aussi cet endroit retiré, pour jouir un moment des douceurs de la solitude, sinon par un motif plus puissant et plus secret. Il n’y était pas depuis longtemps quand il entendit un pied lourd marcher au-dessus de sa tête. C’était celui d’un homme qui entrait dans le pavillon d’été. Il se demandait encore s’il devait renoncer à tout espoir de voir Mildred, quand son oreille exercée reconnut le bruit des pieds légers de la jeune fille, qui arrivait aussi dans le pavillon.

— Me voici comme vous l’avez désiré, mon père, dit la pauvre fille d’un ton tremblant, que Wycherly comprit trop bien pour ne pas se figurer dans quel état se trouvait Dutton en ce moment. L’amiral Bluewater sommeille, et ma mère m’a permis de sortir un instant.

— Oui, l’amiral Bluewater est un grand homme, quoiqu’il ne vaille guère mieux qu’un homme mort, dit Dutton d’un ton aussi dur que ses expressions étaient grossières. Vous et votre mère, vous êtes tout attention pour lui ; mais si j’étais à sa place, laquelle de vous verrait-on se courber sur mon lit, les joues pâles et les yeux en larmes ?

— Laquelle, mon père ? Toutes deux. — Ne pensez pas assez mal de votre femme et de votre fille pour supposer qu’il soit possible que l’une ou l’autre oublie son devoir.

— Oui, le devoir pourrait peut-être faire quelque chose. Mais quel devoir avez-vous à remplir avec ce contre-amiral, qui ne nous est bon à rien ? Je le déteste de toute mon âme ; il était membre du conseil martial qui m’a privé de mon rang ; et c’est lui qui s’est montré le plus obstiné à refuser de m’aider à obtenir ce misérable grade de master.

Mildred garda le silence. Elle ne pouvait justifier son ami qu’en accusant son père, et son respect filial le lui défendait. Quant à Wycherly, il aurait donné un an de son revenu pour être en ce moment sur mer, et cependant il ne voulait pas blesser la sensibilité de la jeune fille en lui laissant savoir qu’il avait entendu cette conversation. Cette pensée le fit rester où il était, écoutant involontairement un entretien qu’il aurait voulu ne pas entendre, ce qu’il aurait pu prévenir s’il eût eu le temps de la réflexion.

— Asseyez-vous ici, Mildred et écoutez ce que j’ai à vous dire, reprit Dutton d’un ton sévère. Il est temps que je vous parle sérieusement. Vous tenez entre vos mains votre fortune, celle de votre