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bataille. Des décharges d’artillerie se faisaient entendre à chaque instant ; le nuage de fumée devenait plus épais et plus étendu et dans la demi-obscurité de ses volumes, on voyait briller l’éclair qui précédait chaque détonation ; les boulets perçaient le bois et coupaient les cordages, et les cris perçants des blessés n’en paraissaient que plus terribles parce qu’ils étaient arrachés à des âmes fermes et intrépides. Les hommes semblaient métamorphosés en démons, et pourtant une résolution opiniâtre de vaincre se mêlait à tout cela, ennoblissait le combat et rendait l’attaque et la défense héroïques. Les bordées qui se succédaient sur toute la ligne à mesure que chaque vaisseau de la seconde division française arrivait à son poste, annonçaient que M. Després avait adopté le mode d’attaque de sir Gervais, le seul qui pût sauver le vaisseau de tête, et que l’escadre anglaise était entre deux feux. En ce moment, les hommes de la manœuvre du Plantagenet brassaient les vergues, mais, au premier coup sur les bras, les trois mâts de hune tombèrent par suite des avaries faites dans le gréement. Il était urgent de se débarrasser de tous ces débris qui engageaient un bon nombre de canons de bâbord ; la situation du Plantagenet devenait plus critique que jamais, et la voix ne pouvait se faire entendre au milieu d’un des plus terribles combats de mer qu’on pût voir.

Jamais le marin bien discipliné ne paraît si grand que lorsqu’il supporte des calamités soudaines avec une fermeté tranquille, qualité que doit matériellement inculquer la morale de la discipline. Greenly était plein d’ardeur pour l’abordage, et il réfléchissait au meilleur moyen d’aborder son adversaire quand ce malheur arriva ; mais à peine les mâts furent-ils tombés que ses pensées prirent un autre cours, et appelant les hommes de la manœuvre, il leur ordonna de débarrasser le vaisseau de tous ces débris.

Sir Gervais éprouva aussi une forte révulsion dans le cours de ses idées, quand cet accident arriva. Il avait rassemblé ses Bowlderos, et il leur donnait ses instructions sur la manière dont ils devaient le suivre et se tenir près de sa personne dans le combat corps à corps auquel on s’attendait, quand la pression de l’air et la chute des mâts avec leurs agrès, lui annoncèrent ce qui venait d’arriver. S’adressant aux matelots, il leur ordonna d’un ton calme de débarrasser le pont de tout ce qui l’encombrait, et il donnait ordre à Wycherly de s’occuper de ce service, quand celui-ci s’écria :

— Voyez, sir Gervais ! voici un autre vaisseau français qui arrive sur notre hanche. — De par le ciel ! il faut qu’ils aient dessein de nous aborder !