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pendant une vingtaine de minutes sur les deux escadres ce silence solennel qui règne à bord d’un bâtiment dont l’équipage est bien discipliné, avant le commencement d’un combat. Les deux commandants en chefs étaient occupés en ce moment important d’idées bien différentes. Le comte de Vervillin voyait que sa seconde division, sous les ordres du vicomte Desprès, contre-amiral, était précisément dans la position où il désirait qu’elle fût, ayant obtenu l’avantage du vent, tant parce que la seconde division anglaise venait vent arrière, que parce qu’il avait toujours maintenu sa route au plus près. Les deux amiraux français s’entendaient parfaitement sur ce que chacun d’eux devait faire, et tous deux avaient alors le plus grand espoir de pouvoir se dédommager de l’échec de la veille, et cela par des moyens fort semblables à ceux qui en avaient été la cause. De l’autre part, sir Gervais au contraire était tourmenté de doutes sur le parti que pourrait prendre Bluewater. Il ne pouvait pourtant s’imaginer que son ami voulût l’abandonner aux efforts réunis de deux divisions ennemies, et tant que la division anglaise qui était au vent donnerait de l’occupation au contre-amiral français, il avait lui-même le champ libre et les armes égales avec M. de Vervillin. Il connaissait trop bien la générosité de Bluewater pour ne pas être certain qu’en cédant à la demande que lui avait faite son officier inférieur de ne pas lui faire de signaux, cette condescendance lui donnerait une double chance de lui toucher le cœur, et de mettre en jeu toute la noblesse de son âme. Néanmoins le vice-amiral Oakes ne donna pas le signal du combat sans de pénibles pressentiments. Il avait vécu trop longtemps dans le monde pour ne pas savoir qu’un préjugé politique est la plus démoralisante de toutes nos faiblesses, couvrant nos vues d’égoïsme du prétexte plausible du bien public, et rendant même un homme bien disposé insensible aux injustices qu’il commet envers les autres, parce qu’il se laisse tromper par l’idée flatteuse qu’il rend service à la société. Cependant, comme le doute était encore plus pénible que la certitude, et qu’il n’était pas dans son caractère de refuser un combat si noblement offert, il résolut d’attaquer le comte à tout risque, laissant le résultat du combat à la volonté de Dieu et à ses propres efforts.

Le Plantagenet offrait un tableau parfait d’ordre et de préparatifs pour une action navale quand il approcha de la ligne française en cette mémorable occasion. Chacun était à son poste, et quand Greenly fit l’inspection des batteries, il trouva tous les canons à tribord démarrés, pointés et prêts à faire feu, tandis que ceux qui étaient à bâbord n’étaient retenus que par un tour ou deux des